Journées d’étude des 27 et 28 novembre 1997
MARX AUJOURD’HUI : FONDEMENTS ET CRITIQUE
DE L’ÉCONOMIE POLITIQUE
« Vente » ou « location » de la « force de travail » ?
Sur les enjeux d’une distinction éminemment marxienne.
par Jean-Pierre Airut, Institut Raymond Aron (EHESS)
« Cette apologétique consiste alors à donner une fausse image des rapports économiques les plus simples (…). D’une façon générale : simple échappatoire, illogisme malhonnête qui admet un phénomène quand il s’appelle A, et le nie quand il s’appelle B (..) ou désir d’esquiver la difficulté en rejetant le phénomène sous un nom qui heurte les préjugés pour l’accueillir sous une forme vide de sens… », Karl Marx[1].
Résumé : A l’encontre du droit libéral mais aussi de Proudhon, Marx et Engels qualifient constamment d’achat-vente l’échange capital/travail. A y regarder de plus près, cet échange répond pourtant à leur définition de l’échange locatif. Les hypothèses susceptibles d’expliquer cette anomalie terminologique sont nombreu- ses. On ne saurait exclure qu’elle ait pour rôle d’occulter les difficultés que soulève la démonstration marxienne de la théorie de l’exploitation.
1. – Face à une théorie « en crise » comme le marxisme, il est, pour ses partisans, quatre voies d’adaptation possibles :
– La politique de l’autruche. En attendant des jours meilleurs, on fait comme si la théorie n’était pas menacée.
– La tactique du lézard. Pour sauvegarder les énoncés de la théorie que les observations et les modes théoriques ne démentent pas (exploitation, lutte des classes, contradictions du capitalisme, etc.), on s’ampute des énoncés que les observations et les modes théoriques infirment apparemment — en rendant publique la nouvelle de l’auto-amputation (abandon de la dictature du prolétariat et de la critique des droits de l’homme) ou en la taisant[2] (abandon de la paupérisation absolue, de la révolution dans les pays les plus développés; du lyssenkisme, de la théorie de la valeur-travail pour les « marxistes algébriques » ; etc.). Pour compléter la manœuvre, on fait comme si les énoncés dont on se sépare n’entretenaient pas souvent avec ceux que l’on conserve des rapports logiques interdisant de se défausser des uns sans les autres et comme si — à chaque nouvelle ablation — les énoncés sauvegardés ne se réduisaient pas comme une peau de chagrin ;
– La méthode du caméléon. En introduisant dans la théorie « en crise » des termes et des thèmes ambiants (structuralisme[3], ontologie[4], religion[5], etc.), on cache à son public que l’on maintient, sous une terminologie plus ou moins renouvelée, tout ou partie des énoncés les plus traditionnels (exploitation, lutte des classes, valeur-travail, suppression de la propriété privée, etc.) ;
– La stratégie du phénix, qui, pour mieux renaître de ses cendres, commence par accepter l’inévitable perspective de sa mort. Selon les adeptes de cette stratégie, il n’est pas d’autre issue que de: 1° Décomposer la théorie en autant de « cendres » ou d’énoncés explicites et implicites[6] qu’elle en comprend ; 2° Mettre au jour les liens de solidarité logique susceptibles d’unir ces divers énoncés ; 3° Distinguer les énoncés qui soulèvent un problème de ceux qui n’en posent aucun ; 4° Éliminer ceux qui s’avèrent poser des problèmes insolubles en n’oubliant ni le moindre de leurs présupposés ni la moindre de leurs conséquences ; 5° Formuler les énoncés à implanter dans la théorie afin de remplacer ceux que l’on retire et de lier en un tout cohérent ceux qu’on laisse. Passer, bref, selon la célèbre formule, de l’arme de la critique à la critique des armes.
Depuis la chute du mur de Berlin, la stratégie du Phénix a marqué des points : en appelant les participants à « réexaminer et peut-être (à) réévaluer la contribution de Marx, économiste et philosophe », les organisateurs de ce colloque plaident en tout cas pour elle. Pour répondre à leur appel, la communication que nous présentons se fixera trois objectifs :
– diagnostiquer une anomalie termino-logique affectant une théorie servant — pour reprendre les termes de l’exposé des motifs du colloque — de « fondement » à la « critique de l’économie politique » de Marx ;
– inventorier les difficultés dont cette anomalie terminologique pourrait être la cause autant que l’effet ;
– esquisser les solutions qui permettraient d’éliminer ces difficultés en même temps que cette anomalie.
2. – La dénomination, dont nous tenterons de faire apparaître l’incongruité, concerne le concept à travers lequel Marx comme Engels invitent leurs lecteurs à se représenter la relation capital/travail.
La raison, pour laquelle ce concept « fonde » la « critique de l’économie politique », tient à ce qu’il fait dépendre de cette relation la production de toute valeur d’usage ainsi que, dès lors, la possibilité de toute vie. C’est encore lui qui nous incite à penser que la relation capital/travail conditionne le fonctionnement économique et social au point qu’il suffirait de partir des formes qu’elle revêt — de société en société et d’époque en époque — pour caractériser et distinguer les modes de production inhérents aux formations sociales s’offrant à l’observation historique.
3. – De prime abord, rien de plus transparent que la relation capital/travail.
En l’absence de contrat collectif, le nombre de personnes qu’elle implique ne se réduit qu’à deux : le tra-vailleur d’une part et le capitaliste — personne physique ou morale — de l’autre. Unique apparaît même sa raison d’être : échanger le travail de l’un contre l’argent de l’autre.
Les « économistes classiques » ne remettent pas en cause cette représentation. Pas plus que Smith, dans son Enquête [7], Ricardo ne se penche, dans ses Principes[8], sur les propriétés de cette relation. Déterminer les causes et les effets de la variation du salaire est leur préoccupation majeure[9].
Ni le code Napoléon, ni le droit du travail actuel[10] ne proposent un concept plus élaboré du rapport capital/travail.
4. – Un des mérites de Marx est d’avoir montré que ce rapport était plus complexe et plus obscur que nos sens, l’économie bourgeoise et le droit libéral nous incitent à nous le représenter.
En tant que phénomène économique, ce rapport relève à lui seul de deux « sphères » bien distinctes. Dans la mesure où il permet le rapprochement des moyens de production et du travail nécessaire à la création des marchandises et de la valeur, il se déploie dans la sphère de la « production ».
Dans la mesure où il permet à la valeur créée, d’une part, de passer des mains de l’ouvrier où elle naît dans les actifs du capitaliste et au salaire, d’autre part, de quitter le compte en banque du capitaliste pour rejoindre le portefeuille de l’ouvrier, il relève simultanément de la « circulation[11] ».
Mais le rapport capital/travail est aussi un phénomène juridique. Pour bien le comprendre, il convient de clarifier le sens des catégories — de contrat, d’achat-vente, de possession, de propriété, de salaire, d’usage, etc. — à travers lesquelles Marx conçoit cette dimension juridique.
Les raisons pour lesquelles le sens de ces concepts demeure souvent imprécis, confus ou équivoque sont nombreuses. Pas plus avant, que pendant ou après Le Capital, Marx ne développe ni unifie ses vues juridiques. Selon les époques si ce n’est les pages[12], il donne souvent un sens différent aux termes qu’il emploie : alors même qu’il n’explicite pas celui qu’il leur attribue à chaque fois, il n’écrit pas assez clairement pour permettre au lecteur de déterminer — dès la première analyse — à quel sens il réfère implicitement chaque terme[13].
Quand Marx distingue le concept de propriétaire de celui de possesseur[14], il vise, à travers le terme de propriétaire, toute personne à qui l groupe reconnaît — soit directement soit par l’intermédiaire de représentants — le droit d’user, d’abuser et de disposer d’un bien déterminé ; et, à travers le terme de possesseur, toute personne exerçant sur un bien tout ou partie des droits définissant la propriété[15], avec ou sans l’accord de la collectivité concernée[16].
Admettons que le terme de circulation désigne tout mouvement de bien ou de service. Lorsque le mouvement modifie l’affectation de biens d’une seule et même personne — qui retire, par exemple, son capital de l’immobilier pour le placer dans l’industrie — la circulation demeure strictement économique.
Quand le mouvement conduit le bien à changer de propriétaire, la circulation n’est pas seulement économique, elle est aussi juridique.
Si le transfert de propriété ou de service n’est pas consenti par une volonté éclairée, la circulation prend la forme du vol, de l’escroquerie, du détournement, du pillage, de la rapine, du tribut, de l’esclavage ou de la réquisition quand ce n’est pas de la corvée.
Pour peu que le transfert soit consenti par une volonté libre et éclairée, concerne les biens d’un seul et même propriétaire, aboutisse à la mutation de leur propriété et ne soit subordonné à la réalisation d’aucune condition, la circulation prend la forme du don.
Lorsque le transfert est consenti par une volonté libre et éclairée, aboutit à un transfert de propriété mais est, cette fois, subordonné à la réalisation d’une contrepartie, la circulation prend la forme de l’échange.
Quand l’échange opère le changement de propriété de biens de consommation ou d’équipement, il s’appelle « troc » et se dénomme « achat-vente » si l’un des biens est monétaire.
Dès l’instant où l’échange mute la propriété d’un des biens en contrepartie de l’usage momentané de l’ autre, il prend la forme de la location ou du « louage[17]».
Si le mode de production repose — comme c’est le cas pour le système capitaliste — sur la propriété privée des biens de production aussi bien que de consommation, c’est par l’intermédiaire du don et de l’échange locatif ou acquisitif — et non de l’appropriation violente — que les valeurs d’usage et les valeurs d’échange doivent — en principe — changer de possesseurs.
Ceci explique que Marx écrive que « tous les développements de l’économie politique » — science bourgeoise de l’économie bourgeoise — « supposent la propriété » et que « la sphère circulation » est, en régime capitaliste, l’« Eden des droits naturels de l’homme » en général et de la « Propriété » en particulier [18].
Les secteurs, où les coéchangistes s’unissent par des rapports de location et non d’achat-vente, ne sont pas négligeables : crédit et immobilier pour ne parler que d’eux.
Quand on synthétise les propos de Marx-Engels sur l’achat-vente et la location, on s’aperçoit qu’ils les opposent bien plus qu’ils ne les assimilent.
Les propriétés communes à ces transactions sont au nombre de deux. L’achat-vente et la location sont, comme on l’a déjà dit, des échanges, ce qui revient à dire des opérations croisées, réciproques, synallagmatiques ou bilatérales comme on voudra[19].
L’obligation de réciprocité, qui les caractérise, découle dans les deux cas de la propriété que les coéchangistes se reconnaissent sur leurs biens respectifs. S’ils ne se reconnaissaient pas mutuellement propriétaires du bien qu’ils cherchent à utiliser ou à acquérir, ils chercheraient à l’obtenir sans contrepartie[20]. Dès lors qu’ils se reconnaissent mutuellement propriétaires, ils doivent, pour ne pas se contredire, abandonner la contrepartie au vu de laquelle leur partenaire renoncera, de son plein gré et en connaissance de cause, à la propriété ou à l’usage momentané de son bien.
Les différences, qui opposent l’achat-vente à la location et s’élèvent à trois quant à elles, sont à la fois juridiques et économiques.
– L’achat-vente permute la propriété de l’ensemble des biens échangés de sorte que les coéchangistes sont et restent propriétaires de la marchandise avant la transaction comme après, quand bien même ce n’est pas de la même marchandise. Il n’en va pas de même pour la location qui transfère le titre de propriété d’un seul des biens échangés, celui que le locataire abandonne en contrepartie de l’usage momentané de la marchandise. Emprunt financier[21], bail foncier[22], location immobilière[23], ces trois rapports respectent cette condition.
– La valeur — i. e. la proportion de biens qui s’échangent — ne s’explique pas de la même manière selon que l’échange est locatif ou acquisitif. La valeur acquisitive est déterminée par la quantité de travail nécessaire à la production des biens chan-geant de propriétaire ; la valeur locative, par, au bout du compte, la seule loi de l’of-fre et de la demande[24].
Contrairement à ce que les expressions « loi générale de la valeur » et « théorie de la valeur » finissent par nous faire croire, il n’y a pas, chez Marx, une théorie de la valeur mais deux : celle de la valeur acquisitive et celle de la valeur locative.
Quand on se rappelle que la théorie de la valeur-travail ne suffit pas à déterminer la proportion dans laquelle les titres de propriété s’échangent, jour après jour jour, sur le marché et qu’elle doit, pour y parvenir, recourir à la théorie des prix, on peut se demander si Marx ne développe pas deux — et non une — théories de la valeur acquisitive en plus de sa théorie de la valeur locative. De sorte qu’il expliquerait la proportion dans laquelle les marchandises s’échangent par rien moins, au bout du compte, que trois théories.
– Dans le cas de l’achat-vente, la proportion des biens qui s’échangent peut et doit être « équivalente ». Si les coéchangistes se reconnaissent propriétaires, ils ne sauraient se contenter, pour respecter leurs droits respectifs, de s’accorder une contrepartie : cette contrepartie doit également être égale . Si elle ne l’était pas, ils s’approprieraient gratuitement une partie de son bien, ce qui revient à dire qu’ils ne respecteraient que partiellement le droit de propriété qu’ils se reconnaissent, ce qui serait contradic-toire[25].
Pour que les biens échangés soient égaux, il faut pouvoir les mesurer et, pour les mesurer, il faut disposer d’un étalon. Cet étalon est la quantité de travail nécessaire à la production de chacun d’eux. Lorsque la proportion de biens qui s’échangent correspond à celle des quantités de travail qu’ils intègrent, l’échange respecte la « loi de l’échange » égal.
La proportion de biens, que les locataires abandonnent contre l’usage du bien du pro-priétaire, ne saurait jamais, quant à elle, être équivalente à cet usage. La valeur locative n’est pas déterminée, en effet, par la quantité de travail nécessaire à la production du bien loué mais par le rapport de l’offre et de la demande. Dans la mesure où ce rapport ne peut éviter de fluctuer, la valeur locative qu’il détermine est arbitraire et contingente : ainsi n’existe-t-il pas de loyer « naturel » auquel la proportion de marchandises cédée par le locataire au propriétaire puisse équivaloir[26].
5. – Marx et Engels emploient très peu les termes de location ou de loyer. A la diffé-rence de l’expression « achat-vente », aucun de ces termes n’apparaît dans l’index des Théories sur la plus-value parues aux Éditions sociales non plus que dans ceux des OEuvres de Marx-Engels édités, dans la bibliothèque de la Pléiade, en quatre volumes de 6000 pages au total. Si le terme de « loyer » et de location apparaissent bien dans l’index de la quatrième édition du Capital [27] et dans celui des livres deuxième et troisième publiés aux Éditions sociales, c’est sept fois tout au plus.
Pour expliquer cette discrétion, on avance-ra plusieurs hypothèses. D’une époque ou d’une région à l’autre, la location prend, contrairement à l’achat-vente, des formes et des appellations différentes : le loyer foncier se paye ainsi tantôt en service (corvée), tantôt en nature (métayage) et tantôt en argent (fermage). Dans la perspective historique qui est la leur, Marx et Engels ne peuvent qu’éviter les termes, par trop généraux, de location et de loyer.
Ils doivent d’autant plus les éviter que leur perspective est également savante et que le mot loyer est « vulgaire[28]». En dehors du secteur immobilier où les termes de loyer, location, locataire et logeur se sont imposés aux savants eux-mêmes, ils utilisent « prêt », « emprunt », « crédit » et « avance » pour désigner la location financière ; « emprunteur », « fermier » et « métayer » pour signifier le locataire financier ou foncier ; « intérêt », « rente absolue » et « rente différentielle » pour viser le loyer de l’argent ou de la terre.
Les libertés, que Marx et Engels prennent avec les conventions terminologiques les plus usuelles, expliquent également pourquoi ils utilisent aussi peu les termes de loyer et de location. Pour désigner les propriétés caractéristiques de la location, il leur arrive d’employer les termes que l’usage réserve habituellement à l’achat-vente : le locataire ne loue pas mais « achète » la « jouissance » de l’ « immeuble » pour une période déterminée, écrit, par exemple[29], Engels[30].
Pour désigner les propriétés caractéristiques de la location, les fondateurs du « socialisme scientifique » se servent inversement de dénominations communément réservées à la vente. Peu après avoir précisé, dans Le Capital, que l’acquéreur d’un bien achetait « sa pro-priété », Marx écrit que l’« acheteur d’une marchandise ordinaire achète » seulement « sa valeur d’usage[31]». Engels[32] n’est pas le seul à lui emboîter le pas[33].
En une occasion au moins, Marx va jusqu’à se servir des termes de « vente » et de « prêt » pour désigner le même rapport économique : « Considérons d’abord la circulation spécifique du capital portant intérêt. On examinera en second lieu la manière particulière dont il est vendu comme marchandise, c’est-à-dire prêté au lieu d’être cédé une fois pour toutes[34] ».
Ces diverses interversions ont des effets pervers. Elles rendent moins perceptibles les différences qui séparent l’achat-vente de la location : alors que Marx et Engels ne manquent jamais l’occasion de reprocher à Proudhon sa confusion de la location et de l’achat[35], on reste surpris par elles.
Ces jeux terminologiques sont d’autant plus pernicieux qu’ils finissent par occulter le rôle de l’échange locatif dans l’économie capitaliste. Qui lit Marx en général et Le Capital en particulier reste sur l’impression qu’il n’existe qu’une seule forme d’ échange, l’achat-vente, ou que l’achat-vente est la forme d’échange prédominante, celle à laquelle il faut toujours revenir.
Il n’en est pourtant rien, ainsi qu’on l’a déjà laissé entendre. Dès lors que les rapports unissant les emprunteurs aux financiers, les fermiers aux propriétaires fonciers et les locataires particuliers ou professionnels aux propriétaires immo-biliers sont locatifs, le domaine sur lequel règne la location n’a pas grand-chose à envier à celui où l’achat-vente s’impose[36]. Pas plus que la location n’est un rapport économique subordonné ou marginal, la théorie de la valeur locative n’est un con-cept mineur de l’économie politique.
6. – Pour dénommer et caractériser la relation capital/travail, Marx utilise l’expression
« achat/vente de la force de travail[37]». Bien que cette expression passe pour éminemment marxiste[38], elle n’est pas de l’invention de Marx et encore moins de celle d’Engels. Dans ses Principes (1817), David Ricardo écrit que « le tra-vail, comme tout autre bien acheté et vendu…[39]». En 1840, l’expression apparaît encore chez un disciple de Jean-Charles Sismondi, Eugène Buret, que Marx cite dans les Manuscrits de 1844 [40], le premier texte où il se collette avec la science économique.
Si Marx la reprend à son compte, il ne l’utilise — sauf erreur — qu’une fois dans ce texte et en soulignant qu’elle ne lui appartient pas : « L’économiste nous dit que tout s’achète avec du travail et que le capital n’est que du travail accumulé. Mais il nous dit en même temps que l’ouvrier, loin de pouvoir tout acheter, est obligé de se vendre lui-même et de vendre sa qualité d’homme[41] ».
Les raisons de cette distanciation sont complexes. Marx, qui débute en économie, estime vraisemblablement ne pas pouvoir assumer, à lui seul, la responsabilité de propos aussi graves.
Dans ces « Manuscrits philosophico-économiques », où sa critique de l’économie marchande se développe sur le terrain de l’ontologie et de l’anthropologie avant tout, il préfère vraisemblablement ne faire sien que le concept d’aliénation : tout en enveloppant l’idée d’homme-contraint-de-se-vendre, ce concept fait mieux ressortir à quel point la « marchandisation » de l’homme fait par elle-même offense à sa nature en même temps qu’à sa dignité.
Dans sa conférence sur le salaire de l’année 1847, où ne il s’abrite plus derrière l’autorité de l’« économiste », il charge encore « achat-vente » d’une signification onto-anthropologique. C’est parce que le « rapport entre l’employeur et l’ouvrier » n’est plus qu’économique et que « toute trace de relations patriarcales », affectives, sociales ou humaines a ainsi « disparu » que « reste désormais (…) l’achat et la vente », le « trafic[42] ». Marx, qui pourrait tolérer que le rapport capital/travail soit le lieu d’un échange, ne supporte pas qu’il ne se réduise qu’à ce dernier.
Dix-huit années plus tard, dans Salaire, prix et profit, « achat-vente » apparaît toujours[43]. Si le fait que la force de travail doive se vendre reste le signe d’une déchéance, cette déchéance est davantage sociale qu’ontologique. La « marchandisation » de l’homme a beau demeurer choquante, elle n’est plus l’objet d’une condamnation spécifique. Du point de vue objectiviste qui semble désormais le sien, il apparaît normal à Marx que le rapport capital/travail ne soit qu’économique.
« En achetant la force de travail de l’ouvrier et en la payant à sa valeur, le capitaliste, comme tout autre acheteur, a acquis le droit de consommer la marchandise qu’il a achetée ou d’en user [44]». Le plus grand scandale n’est plus que l’homme se vende mais qu’on l’achète à vil prix. C’est sur le terrain de la dignité économique et non morale que Marx se place — du moins explicitement.
C’est sous cette forme quasi « laïcisée » que l’expression « achat-vente de la force de travail » revient le plus fréquemment dans Le Capital, où elle fournit le titre de la section 3 du chapitre IV : « Achat et vente de la force de travail ».
Ni les partisans français[45] ou étrangers[46] de Marx, ni ses adversaires n’ont, jusqu’à ce jour, remis en question cette qualification de la relation capital/travail. Si le courant « hétérodoxe » soutient « que l’« échange salarial » est radicalement différent des autres échanges mar-chands[47]», il n’oppose pas l’échange acquisitif à l’échange locatif mais l’« échange marchand strict » à l’« échange monétaire non marchand ». Ne visant, à travers ces deux derniers termes, que deux formes d’« achat-vente », il continue de voir dans l’employeur un « acheteur[48] », fût-il d’un type particulier.
La dénomination « achat-vente » est si peu contestée qu’on la retrouve parfois sous le plume d’économistes non marxistes[49] et qu’elle paraît avoir rejoint, à travers l’ex-pression « je vends ma force de travail », la langue — plaisante il est vrai — de certains milieux intellectuels[50].
7. – En dépit de l’unanimité dont elle est l’objet, cette dénomination fait pourtant problème. Qu’elle contredise la manière dont le droit bourgeois présente le rapport capital/travail[51], il n’y a rien là que de très normal ; qu’elle remette en cause les définitions que Marx et Engels donnent eux-mêmes des concepts de location et d’achat-vente, voilà qui est plus surprenant.
Au début de l’échange, chacun des protagonistes est propriétaire : l’ouvrier de sa force de travail dont il peut « disposer » depuis que les droits naturels de l’homme l’ont rendu « libre » ; le capital de l’argent dont il dispose depuis, quant à lui, que la propriété des moyens de production existe.
Au terme de la transaction, un seul des deux biens concernés change de propriétaire : tandis que l’argent du salaire a été détaché du patrimoine du capitaliste pour entrer dans celui du prolétaire, la force de travail demeure bien quant à elle, avant comme pendant et après l’échange, la propriété du prolétaire.
Une autre considération plaide contre la dénomination employée par Marx-Engels. Si l’ouvrier renonçait, en la « vendant », à la propriété de sa force de travail, le contrat auquel nous aurions affaire ne serait pas un contrat de travail mais d’esclavage.
L’esclavage et le salariat ont beau présenter des analogies, ils demeurent irréductibles[52]. Ce qui les oppose — les droits de l’homme sur sa personne et les fruits de son travail — suffit à distinguer le mode de production antique du mode de production capitaliste et les sociétés qui ignorent les droits de l’homme de celles qui en admettent le principe. Marx est tellement conscient de cette différence qu’il rappelle la nécessité de « bien distinguer » le « marché du travail du « marché des esclaves[53] ».
L’argument — selon lequel le capital pourrait, à défaut de s’approprier la force de travail, entrer en possession du travail exécuté de sorte que l’échange capital/travail relèverait bien, malgré tout, du concept d’achat-vente — ne peut être retenu. Si le capitaliste devenait propriétaire du travail et non de la force de travail, c’est l’expression « achat-vente du travail » et non « achat-vente de la force de travail » que Marx-Engels utiliseraient. Alors qu’ils n’ont cesse de distinguer le concept de travail de celui de force de travail, on ne voit pas pourquoi ils écriraient « achat-vente de la force de travail » au lieu d’« achat-vente du travail ».
En supposant que le capitaliste cherche à s’approprier le travail plutôt que la force de travail, il ne le pourrait pas. Le travail des ouvriers — comme celui des cadres — consiste en une suite de gestes et de représentations intellectuelles plus ou moins adaptés à l’objectif du travail. Or, ainsi que Marx l’écrit lui-même, on ne s’ap- proprie pas un geste comme on s’approprie un objet ou une « marchandise[54] ». Le geste étant « distinct » et « inséparable » de celui qui l’exécute, on ne peut se l’approprier (si l’on excepte la photo, la peinture, l’apprentissage du geste ou l’asservissement de celui qui l’exécute) qu’en louant les services de son auteur pour qu’il l’exécute un certain nombre de fois ou pendant un certain temps.
A défaut de s’approprier le travail ou le geste du travailleur, l’employeur pourrait, objectera-t-on encore, s’approprier le « résultat distinct » de l’activité, ce qui revient à dire les produits que le geste et le travail ont permis de créer. Le contrat de travail ne viserait donc pas à accorder le droit d’utiliser la force de travail mais celui de conserver les marchandises par elle fabriquées.
Cette objection n’est pas plus recevable que les précédentes. L’appropriation du pro- duit de l’activité de la force de travail ne suffit pas, en effet, à faire du contrat de travail un rapport acquisitif. L’appro-priation de ce que l’usage permet de produire est si peu caractéristique du contrat de travail qu’elle l’est de tous les contrats de location. Lorsque nous louons un appartement équipé pour les vacances, nous restituons l’appartement au terme du bail mais pas les glaçons pour le pastis que le réfrigérateur a fabriqués. Il en va de mê- me pour la machine que nous louons, cas de figure auquel Marx fait seulement, et c’est dommage, allusion[55]. Le fait que nous con-servions le produit qu’elle nous a permis de fabriquer n’empêche pas que nous l’ayons louée et non achetée.
Ce qui vaut pour la maison et la machine n’a aucune raison de ne pas valoir pour la force de travail, ainsi que Marx l’admet lui-même par ailleurs : « On consomme la force de travail d’un homme ou on l’utilise en le faisant travailler, tout comme on consomme une machine ou on l’utilise en la faisant fonctionner. Par l’achat de la valeur journalière ou hebdomadaire de la force de travail de l’ouvrier, le capitaliste a donc acquis le droit de se servir de cette force, de la faire travailler pendant toute la journée ou toute la semaine[56] ».
Sous quelque angle qu’on le prenne, c’est sous le concept de location et non d’achat-vente que le rapport capital/travail se laisse subsumer. Raison vraisemblable-ment pour laquelle Karl Polanyi ne peut s’empêcher d’écrire — chassez le naturel, il revient au galop — : « Le marché du travail est le marché qui permet de louer tous les êtres humains nécessaires au procès de production[57]».
C’est donc à tort que Engels reproche à Proudhon de penser le rapport capital/travail sur le modèle de la location[58]. Autant l’auteur de la Philosophie de la misère est dans l’erreur lorsqu’il estime que le versement du loyer a pour effet de rendre, avec les années, le locataire propriétaire de son logement, autant il est dans le vrai en considérant que le versement du salaire ne saurait rendre l’employeur propriétaire de la force de travail qu’il recrute[59].
Dans la mesure où la dénomination que Marx et Engels contrevient aux définitions usuelles des concepts de vente et de location autant qu’à leurs propres définitions, on n’est pas seulement en droit mais également en devoir de se demander : pourquoi cette contravention et pourquoi les ambiguïtés terminologiques qui l’accompagnent ?
8. – Pour tenter de répondre à cette question, nous passerons en revue les raisons pour lesquelles Marx pourrait avoir substitué « achat-vente » à « location » et retiendrons celles que viendraient corroborer les connaissances dont nous disposons sur la vie, les activités et l’oeuvre de Marx.
Sauf erreur, il est possible d’expliquer la substitution au moyen de cinq hypothèses :
– Marx et Engels estimeraient qu’il n’y a pas lieu de faire de différence entre l’achat-vente et la location.
A l’encontre de cette première hypothèse, deux considérations : 1° Même si c’est sur le mode implicite, Marx et Engels distinguent parfaitement l’achat-vente de la location pour les raisons juridiques et économiques que nous avons recensées ; 2° dès lors que Marx et Engels reprochent à Proudhon de confondre l’achat-vente et la location, ils ne sauraient ignorer cette dis-tinction.
– Marx et Engels percevraient la différence entre l’achat-vente et la location mais utiliseraient la dénomination « achat-vente » au lieu de celle de « location » par distraction.
A l’encontre de cette deuxième hypothèse, on objectera que Marx utilise l’expression
« achat-vente » du début de sa carrière d’économiste jusqu’à la fin et qu’il n’a pu être aussi longtemps et aussi constamment distrait.
– Marx procéderait à la substitution par coquetterie d’auteur, pour cultiver sa différence ou se faire tout simplement plaisir.
A l’appui de cette troisième hypothèse, cette citation extraite de la postface de la deuxième édition allemande du Capital, où, pour justifier ses emprunts termi-nologiques à Hegel, il avoue avoir parfois des marottes stylistiques : « Aussi me dé-clarais-je ouvertement disciple de ce grand penseur, et, dans le chapitre sur la théorie de la valeur, j’allais même jusqu’à me trouver parfois en coquetterie avec sa manière particulière de s’exprimer[60]».
A l’encontre de cette troisième hypothèse, on objectera que Marx n’est, ainsi qu’on l’a vu, ni le premier ni le seul à se servir de la dénomination « achat-vente » et que ce n’est donc pas par elle qu’il pouvait espérer se distinguer. Pour retenir cette hypothèse malgré tout, il faudrait au moins qu’il n’y en ait pas de meilleure.
– Marx emploierait « achat-vente » dans un souci de propagande, afin de noircir le tableau qu’il donne du capitalisme. L’expression d’achat-vente dramatise la situation du prolétaire et suscite le senti-ment de révolte bien plus que celle de location, car elle connote davantage les concepts de marchandise et d’esclavage. En présentant l’échange capital/travail comme un acte à la fois terrible (ne plus s’appartenir, quoi de pire ?), instantané (pour se perdre à jamais, une signature suffit), irrémédiable (quand on aliène son bien, c’est pour toujours) et néanmoins répétitif (ne m’étant vendu que pour une malheureuse journée, il me faut recommencer chaque jour), elle fait de l’ouvrier un nouveau Sisyphe — condamné à sans cesse charier sa peine — en même temps qu’un nouveau Faust — voué à indéfiniment revendre non seulement son âme mais aussi son corps.
A l’encontre de cette quatrième hypothèse, plusieurs considérations : 1° Marx (et ses partisans[61]) se définit comme un homme de science[62] et non de propagande ; 2° Les analyses qu’il développe se présentent sous une forme scientifique (utilisation de termes techniques et symboles ou équations mathématiques, etc.) ; 3° Depuis Schumpeter, les économistes bourgeois eux-mêmes tiennent Marx pour un homme de science à part entière[63] ; 4° Dans un souci de rigueur scientifique, Marx appelle façon formellement, ainsi que nous l’avons rapporté, à distinguer le marché du salariat de celui de l’esclavage.
Aucun de ces arguments ne résistent pourtant à l’analyse : 1° Il ne suffit pas de se définir comme homme de science pour se comporter comme tel à chaque instant : les scientifiques les plus expérimentés n’étant pas à l’abri d’une défaillance ; 2° Marx pourrait avoir d’autant plus facilement cédé à des tentations politiques que les disciplines où il intervient sont par elles-mêmes politisées ; 3° Certains de ses commentateurs les plus autorisés, Maximilien Rubel en tête, estiment que les motivations auxquelles il obéit ne sont pas seulement scientifiques mais également politiques ; 4° Pour une citation de Marx rappelant que le salariat doit être distingué de l’esclavage, on en trouve dix où il les compare, les associe, les met sur le même plan ou les identifie[64], pour parfois conclure que le salariat est, à tout prendre, peut être pire que l’esclavage ; 5° Marx qui est parfaitement conscient du pouvoir évocateur des mots[65] pourrait vouloir ren-dre la monnaie de leurs pièces aux « éco-nomistes bourgeois » et à leurs vues pour le moins lénifiantes des dommages que le système libéral ne peut éviter d’occasion-ner ; 6° À confondre, pour des raisons tactiques, salariat et esclavage, on donnerait prise à ceux qui reprochent à la pensée marxiste de dévaloriser, volens nolens, les « droits de l’homme », dans la mesure où de leur reconnaissance dépend ce qui différencie le mode de production capitaliste du mode de production esclavagiste. On ne peut à la fois défendre l’idéal démocrate et nier, en même temps que l’irréductibilité du capitalisme à l’esclavagisme, la singularité du libéralisme.
– Cinquième et dernière hypothèse envisagée : Marx substituerait « achat-vente » à « location » pour nous cacher que sa démonstration de l’inégalité de l’é-change capital/travail est inopérante.
Pour que l’ouvrier soit exploité, deux conditions doivent être préalablement réunies en effet :
– la force de travail doit avoir deux valeurs — celle à laquelle elle est légalement payée et celle à laquelle elle devrait légitimement l’être ;
– la valeur à laquelle la force de travail est légalement payée doit être inférieure à celle à laquelle elle devrait légitimement l’être.
Pour que la force de travail puisse avoir deux valeurs, ces dernières doivent impérativement s’expliquer par le travail. Si la valeur de la force de travail s’explique par ce dernier, elle peut être égale, en effet, non seulement au salaire, c’est-à-dire au quantum de travail contenu dans les marchandises nécessaires à la reproduction de ladite force de travail mais également au quantum de valeur cristallisé par la force de travail au terme de la journée de travail et de surtravail.
Pour que la valeur de la force de travail s’explique par la théorie de la valeur- travail, il ne suffit pas que la force de travail soit une « marchandise » comme une lecture superficielle du Capital pourrait le laisser croire : il faut également qu’elle soit achetée — et non louée.
Si elle s’emploie au terme d’un échange locatif et non acquisitif, c’est par la loi de l’offre et de la demande et non par la théorie de la valeur-travail que sa valeur doit être expliquée.
Ne pouvant alors avoir qu’une seule valeur, il lui serait impossible d’être payée à une valeur inférieure à quelque valeur que ce soit, ce qui revient à dire qu’elle ne pourrait être exploitée !
Apparaît dès lors la plus probable des raisons pour lesquelles Marx et Engels qualifient d’« achat-vente » — et non de « location » — l’échange capital/travail. S’ils procèdent à cette substitution, c’est parce qu’elle les autorise à appliquer à la force de travail la théorie de la valeur acquisitive sans laquelle ils ne pourraient attribuer à la force de travail deux valeurs simultanées ni par conséquent démontrer qu’elle est exploitée.
Occulter le paralogisme sur lequel repose leur démonstration de la théorie de l’exploitation, voilà à quoi servirait en dernière instance le tour de passe-passe terminologique auquel ils se livrent l’un et l’autre. Cédant à l’« apologétique » qu’il reproche à l’« économie bourgeoise » dans le texte cité en exergue, Marx admettrait lui aussi « un phénomène quand il s’appelle A » pour le nier « quand il s’appelle B » afin de mieux donner « une fausse image des rapports économiques les plus simples ».
C’est donc sans avoir apporté la preuve scientifique autant que judiciaire de la culpabilité du capitaliste que Marx et Engels nous invitent, depuis plus d’un siècle, à le condamner pour « escroquerie[66] », « extorsion[67] », « esclavagisme[68] », « succion[69]», « vampirisme[70] », etc. , et à lui livrer une guerre sans merci, en attendant de l’exproprier avec ou sans indemnité et de le priver parfois de ses droits civiques. Si ce n’est de la vie.
Jean-Pierre Airut
, de lui retirer ses droits civiques et de le déporter accessoirement quand ce n’est pas de l’éliminer purement et simplement[71].
9. – Devant ce vice de forme et la parodie de procès qui en résulte, que faire ? C’est en inventoriant les réponses possibles à cette question que nous conclurons.
– A l’instar de l’autruche, on peut agir comme si la théorie du rapport capital/travail et de l’exploitation étaient parfaitement démontrées et continuer à passer outre aux droits de la défense du capitaliste. « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait la haine ».
– A la façon du lézard, on peut s’amputer du concept de l’exploitation en conservant celui de lutte des classes. Pour prouver que la lutte des classes existe et joue un rôle dans la formation et le fonctionnement de nos sociétés, il n’est nullement besoin, en effet, du concept d’exploitation : il suffit d’ouvrir les yeux pour voir partout des rassemblements humains s’opposer les uns aux autres.
Dans la mesure où le concept d’exploitation explique la lutte des classes par la seule inégalité du rapport capital/travail, on ne pourrait alors conserver le concept de lutte des classes qu’après avoir renoncé à l’idée qu’elle naît et finit avec l’exploitation et qu’à condition d’accepter l’idée qu’à son origine puissent se trouver, par exemple, la conflictualité inhérente — dans une pespective hobbesienne ou darwinienne[72] — aux hommes ; l’aspiration égalitariste observée par Tocqueville ; la surenchère à laquelle doivent inévitablement se livrer, pour cap- ter l’attention, les faveurs et les suffrages du peuple, des salariés, des masses ou de la base, les candidats à la représentation politique, syndicale, et intellectuelle — officielle ou sauvage ; etc.
– A la manière du caméléon, on peut com-poser avec les arguments de l’adversaire afin de mieux lui échapper. Tout en déclarant que le rapport locatif ne saurait être confondu avec le rapport acquisitif et tout en répétant que l’échange capi-tal/travail est sans le moindre doute possible un échange locatif, on arguera que cet échange est néanmoins trop spécial pour être expliqué par une autre théorie que celle de la valeur acquisitive.
– Comme le Phénix enfin[73], on peut, accepter de reconnaître que la démonstration de la théorie de l’exploitation que Marx fournit, est nulle et non avenue du point de vue scientifique et que le temps est venu pour ses successeurs de lui donner la démonstration qu’elle mérite. C’est dans cette voie que nous tentons, pour notre part, de nous engager[74].
« Les présupposés de l’échange () sont la liberté et l’égalité », Jacques Michel, « Droit », in Dictionnaire critique du marxisme, P.U.F, Paris, 1982, p. 356.
« Dans une lettre à Lafargue du 11 août 1884, Engels écrivait : « Marx protesterait contre l’idéal politique, social et économique » que vous lui attribuez. Quand on est « homme de science », l’on n’a pas d’idéal, on élabore des résultats scientifiques et quand on est en outre homme de parti, on combat pour les mettre en pratique. Mais quand on a un idéal, on ne peut être homme de science, car on a un parti pris d’avance » (Correspondance Engels-Lafargue, Éditions sociales, t. I, p. 235 )», M. Godelier, Horizon, trajets marxistes en anthropologie, Paris, Maspério, 1977, t. II, p. 97.
« Par définition, le travailleur ne vend que la disposition temporaire de sa capacité de travail ; il peut fonc recommencer toujours l’échange, aussitôt qu’il a consommé la quantité nécessaire de subsistance pour pouvoir reproduire à nouveau sa vie active », K. Marx, Principes d’une critique, Oeuvres, II, p. 243.
« Par définition, le travailleur ne vend que la disposition temporaire de sa capacité de travail ; il peut fonc recommencer toujours l’échange, aussitôt qu’il a consommé la quantité nécessaire de subsistance pour pouvoir reproduire à nouveau sa vie active », K. Marx, Principes d’une critique, Oeuvres, II, p. 243.
[1] Matériaux pour l' »économie », 1861-1865, OEuvres, Paris, Gallimard, II, 1968, p. 466-467.
[2] En critiquant les « silences » qui ont accompagné la « rectification » à laquelle le P.C.F. a fini par procéder au terme de la crise du lyssenkisme, Althusser est le premier à reconnaître l’existence et les limites de ce que nous avons appelé la « tactique du lézard » : «… les communistes finissent par reconnaître, même en silence, du fait de leurs rectifications (de détail ou de leur ligne), le fait de leur erreur (…) abrité derrière ses « grands intellectuels », dans l’exaltation du lyssenkisme et de la thèse des « deux sciences », n’a-t-il pas (le P.C.F.) « rectifié le tir », en abandonnant le moment venu, ses professions de foi et son chantage sur ses militants ? Personne ne s’est expliqué ? Qu’importe, puisqu’on a « rectifié ». (…) Il faut dire sans hésiter que tout ce raisonnement est indigne du marxisme », Louis ALTHUSSER, Avant-propos, in Dominique LACOURT, Lyssenko, Histoire réelle d’une « science prolétarienne », Paris, Maspéro, 1976, p. 10-11 (souligné par nous, J.-P. Airut).
[3] Giuseppe GRAMPA, Dialettica e struttura, Dibattito sull’antropologia nel Marxismo francese contemporaneo, Milano, Vita e Pensiero, 1974.
[4] Michel HENRY, Marx, Paris, Gallimard, 1976.
[5] Giancarlo PENATI, Dialettica e transcendenza, Milano, Celuc, 1973.
[6] Sur la nécessité et les limites de l’implicite dans l’Histoire de la pensée, voir J.-P. AIRUT« The Explicit and the Implicit in the History of Economic Thought ? The example of Karl Marx’s Labor-Value and Surplus-Value Theory », The European Society for the History of Economic Thought, Marseille, Annual Conference, 27 February – 2 March 1997 (A paraître).
[7] Adam SMITH, « Chapitre VIII: Des salaires du travail », Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris, Garnier-Flammarion, , p. 135- 159.
[8] David RICARDO, « chapitre V : « Des salaires », Des principes de l’économie politique et de l’impôt, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 114-128.
[9] En faisant du « produit » du travail sa « récompense » A. Smith donne au travail et au salaire une coloration quelque peu morale ou religieuse (op. cit. , p. 149. et p. 153 notamment) . En présentant régulièrement le salaire comme le « prix » du « travail », lui et Ricardo montrent néanmoins qu’ils conçoivent le rapport capital/travail comme un phénomène par lui-même économique.
[10] « Suivant la doctrine, il (le contrat de travail) s’analyse en substance comme la convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération », G. H. CAMERLYNCK, Traité du droit du travail, Paris, Dalloz, 1968, p. 45.
[11] « (…) la sphère de la circulation ou de l’échange de marchandises, entre les bornes de laquelle se meuvent l’achat et la vente de la force de travail (…) », K. MARX, Le Capital, L. I, Paris, Messidor., 1983, p. 187-198.
[12] Dans une note du livre III du Capital, Marx définit l’achat-vente comme une transaction portant sur la propriété : « Dans tout acte d’achat et de vente, on cède toujours la propriété de l’objet vendu, mais non sa valeur ».
Quatre pages plus loin, l’objet de l’achat n’est plus la « propriété » mais la « valeur d’usage » : « Ce que l’acheteur d’une mar-chandise ordinaire achète, c’est sa valeur d’usage ; ce qu’il paie, c’est sa valeur », OEuvres, II, 1968, p. 1112- 1116.
[13] Autant Marx est lumineux dans l’analyse historique et étincelant dans la polémique, autant ses exposés économiques demeurent obscurs et embarrassés. La première section du Capital n’est pas la seule en cause. A propos, par exemple, du chapitre sur la concurrence, l’un des plus importants du Livre III, Maximilien Rubel écrit, qu’il est « dense et souvent confus » (« Notes et variantes », OEuvres, II, 1968, p. 1847-1848).
A l’origine de cette confusion, plusieurs raisons. Par manque de temps ou non, Marx ne développe pas toutes les questions qu’il soulève (théories du droit, du travail abstrait ou de la concurrence, etc.) ; il n’achève pas d’examiner tous les sujets qu’il développe ; il ne traite même pas parfaitement les sujets qu’il achève d’examiner : au terme de sa quatrième édition, la rédaction du livre premier du Capital le laisse encore insatisfait.
Les livres II, III et IV ne sont eux-mêmes que des brouillons que leurs « éditeurs » Engels et Kautsky doivent souvent réécrire, réordonner, amputer ou compléter, ainsi qu’ils l’avouent dans les préfaces. Plus qu’une « somme », Le Capital est une addition — d’auteurs ; de manuscrits si ce n’est de « fragments » d’époques distantes (M. Rubel, Ibidem, p. 1848) ; d’analyses plus ou moins achevées et tant bien que mal unifiées ; et d’éditions prêtant à discussions.
[14] « Ce que nous examinons ici, c’est une forme historique spécifique de la propriété foncière, une forme modifiée, sous l’influence du capital et du mode de production capitaliste, soit de la propriété foncière féodale, soit de la petite industrie agricole où la possession de la terre est, pour le producteur direct, une des conditions de production et où sa propriété du sol est la condition la plus avantageuse pour la prospérité de son mode de production… », K. MARX, op. cit., 1968, p. 1285-1286.
« Or il n’y a pas de propriété avant la famille ou avant les rapports de domination et de servitude, qui sont des rapports beaucoup plus concrets. Cependant il serait juste de dire qu’il existe des familles, des clans qui ne font que posséder, mais qui m’ont pas de propriété. Par rapport à la propriété, la catégorie la plus simple apparaît donc comme le rapport de simples communautés de famille ou de clans. A un stade social supérieur, elle apparaît comme le rapport plus simple d’une organisation développée. Mais le sujet concret, dont le rapport est la propriété est toujours présupposé. On peut se représenter un sauvage isolé qui possède, mais alors cette possession n’est pas un rapport juridique », K. MARX, Introduction générale à la Critique de l’économie politique, op. cit., 1965, p. 256 (souligné par nous, J.-P. A.).
[15] Les critiques, que Marx émet à l’encontre du droit de propriété, dans La Question juive notamment (Paris, Aubier, 1971, p. 107), doivent être resituées dans leur contexte. A travers ces critiques, il ne conteste pas que la propriété se définisse par le droit de disposer « à son gré » du bien concerné mais que des sociétés reconnaissent à des par-ticuliers le droit de s’approprier de la sorte tout ou partie des moyens de production. Il ne s’oppose nullement en revanche — et c’est une des différences entre lui et les « Uto-pistes » — à ce que les particuliers soient propriétaires de biens de consommation. Il en résulte une conséquence que l’on oublie de tirer : à l’endroit des biens de consommation, l’individu est parfaitement en droit de faire preuve, même sous le socialisme, de l’« égoïsme » et de l’« arbitraire » qui caractérisent, selon La Question juive, toute appropriation privée.
Les États socialistes ont, en ce domaine, respecté les vues de Marx. Ils définissent la propriété socialiste par les trois attributs distingués depuis le droit romain : « Le droit de propriété personnelle comporte les trois attributs classiques du droit de propriété : possession, jouissance et disposition », Aurelian et Trajan IONASCO, « La propriété personnelle en droit socialiste », Mélanges Marc Ancel , t. I , Paris, Pédone, 1975, p. 148.. Si les États socialistes ont exclu les biens d’équipement de cette forme d’appropriation « égoïste », ils l’ont autorisée pour les biens de consommation.
[16] Lorsque « possession vaut titre », le possesseur et le propriétaire ne font qu’une seule et même personne — sauf à pouvoir démontrer que le possesseur a acquis le bien sans le consentement éclairé de son légitime propriétaire.
[17] « 1709. Le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui verser », Code civil des Français, 1804, Paris, Duchemin, 1974, p. 312.
[18] K. MARX, op. cit., 1983, p. 198..
[19] « 1702. L’échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre.
1703. L’échange s’opère par le seul consentement de la même manière que la vente », Code civil des Français, op. cit., p. 311.
[20] Cette explication de l’obligation de réciprocité diffère de prime abord de celles que Marx et Engels fournissent. Ils rendent compte de l’obligation de réciprocité acquisitive par la « loi de l’échange » voulant que les partenaires permutent des équivalents.
L’obligation de servir une « rente » au capital foncier et un « intérêt » au capital financier résulte ainsi, pour nos auteurs, de deux facteurs : « le pouvoir de s’approprier une certaine part du profit que son capital a produit » (K. M., op. cit, 1968, p. 1107) qui appartient au « propriétaire »; la situation de « monopole » ou, pour être plus précis, l’état de rareté dans lequel se trouve le capital financier et foncier. L’obligation de verser le « loyer » immobilier a, de son côté, pour source le fait que le locataire use une « maison » qui a occasionné des « frais de construction et d’entretien » (F. E., La Question du logement, Paris, E. S., 1976, p. 29) comprenant la « rente foncière » du terrain sur lequel la maison est bâtie ; « l’intérêt du capital investi dans la construction y compris le profit de l’entrepreneur ; les « frais de réparation » et d’« assurance » ; les « annuités qui amortissent le capital investi, y compris le profit, proportionnellement à la détérioration graduelle de la maison » (Ibid. p. 47).
Ces explications présentent des inconvénients. S’agissant de l’échange acquisitif, ni Marx ni Engels n’explicitent les raisons pour lesquelles les hommes devraient se fournir des « équivalents ».
S’agissant de l’échange locatif, leurs explications — qui apparaissent, il est vrai dans des textes peu élaborés (Le Capital, II et III notamment) — ne sont guère unifiées : puisque c’est par des facteurs dissemblables qu’elles rendent compte de revenus (loyer, intérêt, rente) variés, certes, mais résultant d’un même genre d’échange malgré tout, le rapport locatif. Les explications de l’obligation de réciprocité locative se concurrencent d’autant plus que : 1 ° les locations d’un bout de terre et d’une maison présentent de très fortes analogies ; 2 ° la rente forme une partie de l’intérêt et la rente dès lors que les activités bancaire et immobilière nécessitent un terrain — dont le propriétaire doit être rétribué — pour se déployer ; 3 ° l’intérêt forme lui-même une partie de la rente et du loyer dans la mesure où l’achat du terrain et de l’immeuble implique une dépense de capital-argent ayant des coûts d’immobilisation ainsi qu’Engels le relève : intérêts à payer au prêteur ou intérêts perdus.
Les explications de l’obligation de réciprocité locative se laissent néanmoins unifier. Ex-pliquer l’« intérêt » et la « rente » par le « monopole » ou la « rareté » du capital revient à les expliquer par la loi de l’offre et de la demande dans la mesure où le « monopole » et la « rareté » concernent l’offre de capital et que l’offre de capital ne s’apprécie que par rapport à l’évolution de la demande, i. e. « accroissement de la population », « besoin croissant de logement », « développement du capital fixe » bâti en ce qui concerne la demande de terre ( K. M., op. cit., 1968, p. 1384-1385). Dans la mesure où la loi de l’offre et la demande explique le niveau du loyer et non la nécessité de verser un loyer-quel-qu’il-soit, on est en droit de renoncer à elle pour expliquer l’obligation de réciprocité proprement dite.
Dès lors que l’emprunteur rétribue le propriétaire — que le capital de ce dernier lui permette de réaliser un profit (crédit industriel ; location professionnelle ou à un tiers) ou non (crédit à la consommation ; location habitative) — on ne saurait davantage expliquer l’obligation de servir un « intérêt » et une « rente » par « le pouvoir de s’approprier une certaine part du profit » qu’aurait le « propriétaire ».
Si le simple fait d’utiliser le bien d’autrui suffit à créer l’obligation de verser une contrepartie, ce ne peut être, toutefois, à cause des frais d’achat, d’entretien et d’assurance que la location suppose et implique. Si le locataire doit s’acquitter de ces coûts, ce n’est pas parce qu’il les occasionne mais parce que le bien dont il profite ne lui appartient pas. Pour peu que le bien lui appartienne ou n’appartienne à personne, il n’est pas tenu de payer les frais d’achat, d’entretien et d’assurance (sauf cas de copropriété). La raison pour laquelle il doit s’en acquitter est que ce bien appartient à quelqu’un et que la propriété crée, à l’encontre des tiers, une obligation de responsabilité. Ni le locataire ni la collectivité ne peuvent, en effet, reconnaître à quelqu’un le droit d’user, de profiter et de disposer d’un bien et lui contester le droit d’exiger d’autrui qu’il répare les dommages qu’il aurait accidentellement (responsabilité civile) ou volontairement (usure locative) fait subir au bien et au propriétaire (perte d’usage).
L’obligation de réciprocité locative aussi bien que de réciprocité acquisitive s’analyse, on le voit, comme un droit à réparation du dommage subi, droit qui résulte du principe de responsabilité qui découle lui-même de l’institution de la propriété — privée ou collective peu importe — sur les moyens de consommation aussi bien que de production.
Le droit soviétique n’infirme pas ces analyses. Reconnaissant aux individus « le droit de posséder, de jouir et de disposer des biens dans les limites établies par la loi » (art. 92 du Code civil de la R.S.F.S.R.), il ne se contente pas de protèger leurs biens contre les « troubles » de jouissance et le « vol » ; il va jusqu’à leur reconnaître le droit de réclamer un « loyer », réglementairement défini, lorsque la pièce ou le logement qu’ils mettent à disposition d’autrui leur appartient. Cf. Michel LESAGE, Le Droit soviétique, Paris, P.U.F., 1975, p. 77-81.
[21] Le capital-argent du financier « n’est ni donné en paiement ni vendu, mais simplement prêté (et) à condition (…) de revenir après un certain délai, à son point de départ », K. MARX, op. cit., 1968, p. 1110.
[22] « A l’expiration du contrat, le propriétaire foncier récupère le sol avec les bâtiments », K. Marx, op. cit., 1968, p. 1292.
[23] En échange d’une contrepartie appelée « loyer », le « locataire » obtient de son « logeur » l’« usage temporaire » de tout ou partie de son immeuble, F. ENGELS, op. cit., 1976, p. 28.
[24] « Le prix de marché de l’argent — c’est le nom du capital porteur d’intérêt en tant que capital-argent — est déterminé sur le marché financier, comme celui de toute autre marchandise, par la concurrence des acheteurs et des vendeurs par la demande et l’offre », K. MARX, Théories sur la plus-value, Paris, E. S., III, 1976, p. 598.
« …le rapport entre l’offre et la demande tel qu’il existe au moment envisagé décide en dernier ressort (du loyer immobilier) », F. ENGELS, op. cit., 1976, p. 29.
[25] Faute d’avoir parfaitement clarifié le concept de propriété et les rapports du droit et de l’économie, Marx tend à assimiler cette « loi d’équivalence » à un phénomène économique, la « loi de l’échange » : « On peut certes vendre des marchandises à des prix qui s’écartent de leur valeur, mais cet écart apparaît comme une infraction à la loi de l’échange de marchandises. Dans sa configuration la plus pure celui-ci est un échange d’équivalents » (K. MARX, op. cit., 1983, p. 178). Quoi qu’en dise Marx, cette loi d’équivalence découle d’une obligation juridique (le principe de responsabilité) découlant elle-même du droit de l’homme sur sa personne et les fruits de son travail que Marx reconnaît formellement : le droit de propriété d’autrui sur un bien oblige celui qui le reconnaît expressément ou tacitement à réparer le dommage qu’il lui fait subir et à le remplacer par un équivalent lorsqu’il le soustrait à la jouissance de son propriétaire. Parce que l’achat implique une telle soustraction, il oblige l’acquéreur à réparer, étant entendu que la réparation doit être « équivalente » à la soustraction ou au dommage subis. Si Marx écrit : « Dans tout acte d’achat et de vente, on cède toujours la propriété de l’objet vendu, mais non sa valeur » (op. cit. ., III, OEuvres, II, 1968, p. 1112), c’est parce que le vendeur est censé retrouver dans l’argent ou la marchandise reçus en échange de son bien son exacte contre-valeur.
Sur les rapports de Marx et du droit de propriété de l’homme sur les fruits de son travail., voir J.-P. AIRUT, « Droit naturel et exploitation capitaliste : le patronat responsable mais pas coupable ? », Revue internationale de philosophie pénale et de criminologie de l’acte, n° 9 – 10, 1996, p. 113-132.
[26] « Quant à l’intérêt du capital-argent, c’est différent. Ici, la concurrence ne détermine pas les déviations par rapport à la loi ; plus exactement, il n’existe point de loi relative au partage, excepté celle que dicte la concurrence, car il n’existe pas de taux « naturel » de l’intérêt, comme nous allons le voir. Par taux naturel de l’intérêt, on entend, en réalité, le taux établi par la libre concurrence. Il n’y a pas de limites « naturelles » du taux d’intérêt. Là où la concurrence ne détermine pas seulement les écarts et les fluctuations, où, par conséquent, l’équilibre de forces antagoniques met un terme à toute détermination, l’objet à déterminer prend un caractère arbitraire, échappant à toute loi », K. MARX, op. cit., 1968, p. 1120.
[27] « Il arrivait même souvent que le loyer fût déduit des salaires lorsque la main-d’oeuvre ne travaillait que peu de temps », K. Marx, op. cit., 1983, p. 13.
[28] « Nous avons vu plus haut que le prix du loyer, vulgairement le loyer, se compose de différentes parts… », F. ENGELS, op. cit., 1976, p. 47 (souligné par nous, J.-P. A.).
[29] « Contrairement à ce qui se passe sur le marché des produits et sur le marché de la propriété foncière, l’acheteur ne peut acheter l’homme, mais uniquement l’usage de son cerveau et de ses muscles au cours d’une même période », Karl POLANYI, Les systèmes économiques dans l’histoire et dans la théorie, préface de Maurice Godelier, traduit par Claude et Anne Rivière, Paris, Larousse, 1975, p. 334-335.
[30] « Il (Proudhon) ne voit pas enfin que, dans toute cette affaire, il ne s’agit nullement d’acheter au propriétaire son immeube, mais uniquement la jouissance de celui-ci et pour une période déterminée », F. ENGELS, op. cit., 1976, p. 30.
[31] K. MARX, op. cit., 1968, p. 1116.
[32] Voir note n° 30.
[33] « La vente de la force de travail transfère sa valeur d’usage à l’acheteur », Marcel DRACH, « Achat-vente », Georges LABICA, Gérard BENSUSSAN, Dictionnaire critique du Marxisme, Paris, P.U.F., 1985, p. 12.
[34] K. MARX, op. cit., 1968, p. 1108.
[35] « Il (Proudhon) ne voit pas enfin que, dans toute cette affaire, il ne s’agit nullement d’acheter au propriétaire son immeuble, mais uniquement la jouissance de celui-ci et pour une période déterminée », F. ENGELS, op. cit., 1976, p. 30.
[36] Il arrive même à Marx d’évoquer la location de moyens de production technique : «… il coûte plus cher d’embaucher une machine pendant une semaine que pendant une journée… », K. MARX, op. cit.,. 1983, p. 606.
[37] « Kauf und Verkauf der Arbeiskraft » dans l’allemand de Marx. Voir l’index des matières de Das kapital, Gesamtausgabe, Berlin, Dietz, 1987, p. 1717, par exemple.
[38] « Au sens des auteurs marxistes, le salaire est le prix de la vente de la force de travail du prolétaire», Claude-Danièle ÉCHAUDEMAI-SON éd., Dictionnaire d’Économie et de Sciences sociales, Paris, Fernand Nathan, 1989, p. 267.
[39] David RICARDO, op. cit., p. 114.
[40] « .. la théorie du travail marchandise est-elle autre chose qu’une théorie de servitude déguisée ? (…) Les grands ateliers achètent de préférence le travail des femmes et des enfants qui coûte moins que celui des hommes. (…) Le travailleur n’est point, vis-à-vis de celui qui l’emploie, dans la position d’un libre vendeur... le capitaliste est toujours libre d’employer le travail, et l’ouvrier est toujours forcer de le vendre », Eugène Buret, De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, 2 vol., Paris, 1840, p. 43-44. Cité in Les Manuscrits de 1844, Paris, E. S., 1972, p. 18.
[41] Ibid., p. 10.
[42] K. MARX, « Salaire », op. cit., 1968, p. 169.
[43] Pour un aperçu historique de l’emploi de la notion plus détaillée, voir M. DRACH, op. cit., p. 11-14.
[44] K. MARX, Salaire, Prix et Profit, Paris, E. S., 1955, p. 48.
[45] « La vente de la force de travail transfère sa valeur d’usage à l’acheteur », M. DRACH, art. cit., p. 12.
[46] « Wages are the monetary form in which workers are paid for the sale of their LABOUR POWER », Meghnad DESAI, « Wages », in Tom BOTTOMORE, A Dictionary of Marxist Thought, Oxford, Basil Blackwell, 1983, p. 517.
[47] Michel de VROEY, « La théorie du salaire de Marx, une critique hétérodoxe », Revue économique, vol. 36, n° 3, mai 1985, p. 451.
Sur le courant hétérodoxe, voir J. CARTELIER, « Introduction à une économie politique hétérodoxe », Université de Louvain, Working paper, 8302, Institut des Sciences économiques, 1983.
« Collectif, Réexamens de la théorie du salariat, de la force de travail individuelle à la reproduction sociale (Analyse, épistémologie, histoire économiques), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1981.
M. de VROEY, « Marchandise, société marchande, société capitaliste. Un réexamen de quelques définitions fondamentales », Cahiers d’économie politique, 9, 1984.
[48] M. de VROEY, art. cit., p. 461. Cette dénomination est aussi contradictoire que celle de Marx dans la mesure où M. de Vroey observe que la « propriété » de la « force de travail » est « inaliénable » et que« le prolétaire ne peut se vendre » puisqu’ « il ne peut que louer ses services » (souligné par nous, J.-P. A.).
[49] « Cette conception moderne du travail, celle que reprend l’économie politique, se constitue au moment où le travail, sous la forme du salariat, est considéré comme une marchandise, un facteur de production qui s’achète et se vend », Claude-Danièle ÉCHAUDEMAISON éd., op. cit., p. 317.
[50] Les locutions « J’ai réussi à me vendre de cette manière », « Comment dois-je me vendre ? », qui s’entendent dans des milieux plus larges, ne proviennent pas de Marx mais de la langue publicitaire, elle-même formée au contact de l’« économie bourgeoise » en général et du marketing en particulier. Ces locutions assimilent davantage l’homme à un produit qu’à une marchandise. Que ces deux notions n’aient pas les mêmes connotations, Marx est le premier à l’écrire : « Service, c’est le travail considéré uniquement comme valeur d’usage (chose accessoire dans la production capitaliste) ; de la même façon, le mot « produit » fait disparaître l’essence de la marchandise et la contradiction qu’elle renferme », K. MARX, Matériaux pour l' »économie », op. cit., 1968, p. 468.
L’homme qui se vend comme un « produit » n’a pas le sentiment — comme il en a le droit même s’il se trompe et « fétichise » — de se réduire à une chose, à une marchandise. A la différence de la marchandise qui n’est qu’objectivité et matérialité, le produit a sinon une âme du moins une image, celle que son propriétaire est toujours susceptible de lui donner. En s’attribuant le pouvoir quasi démiurgique de se donner une image et d’en jouer, l’homme-produit retrouve une marge de manoeuvre par rapport à lui-même et aux autres. Se vendre ne saurait plus être la fatalité que Marx dénonce mais l’occasion d’affirmer au contraire sa
« créativité » en même temps que sa liberté.
[51] Il le définit comme un contrat de louage :
« 1710. Le louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles », Code civil des Français, op. cit., p. 312.
« Chapitre III Du louage d’ouvrage et d’industrie
1779. Il y a trois espèces principales de louage d’ouvrage et d’industrie :
1.° Le louage des gens de travail qui s’engagent au service de quelqu’un (…).
1780. On ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée.
1781. Le maître est cru sur son affirmation,
Pour la quotité des gages ;
Pour le paiement du salaire de l’année échue ;
Et pour les à-comptes donnés pour l’année courante », Ibid., p. 323-324.
« Art. 1780. – On ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée. (L. 27 déc. 1890) Le louage de service, fait sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté d’une des parties contractantes », Code civil, Paris, Litec, 1993, p. 1013.
[52] Ceci vaut pour l’esclavage involontaire aussi bien que volontaire : « M. Finley propose l’interprétation suivante (de l’asservissement pour dettes) (…) …le prêt (pratiquement à fonds perdus) était en réalité l’achat déguisé de la force de travail du libre qui acceptait ainsi de s’aliéner pour subsister. (…) A Athènes (…) on trouve toutes sortes de situation ; en particulier, un grand nombre d’esclaves exercent à leur compte un petit métier, en habitant à l’extérieur de la demeure du maître et en se contentant de lui verser une rente », Claude NICOLET, « Esclavage », Encyclopaedia universalis, corpus n° 8, 1989, p. 679-680.
« Quant à l’asservissement par la vente de sa propre personne, il existerait aux époques ptolémaïques et byzantine mais romaine. (…) Enfin, selon I. Biezunska-Malowist, l’esclavage définitif pour dettes a disparu progressivement de l’Égypte romaine tandis que subsisterait la servitude temporaire du débiteur insolvable », Jean A. STRAUS, « L’esclavage dans l’Égypte romaine », in Wolfgang HAASE und Hildegard TEMPORINI, Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Berlin, Walter de Gruyter, 1988, p. 856.
[53] K. MARX, Principes d’une critique de l’économie politique, op. cit., 1968, p. 352.
[54] « Production immatérielle. Certaines prestations ou des valeurs d’usage, qui sont les résultats de certaines activités ou de certains travaux, se matérialisent en marchandises ; d’autres, au contraire, ne laissent pas de trace palpable, de résultat distinct de la personne elle-même : la résultante n’est pas une marchandise susceptible d’être vendue. Par exemple, le service que me rend un chanteur satisfait mon besoin esthétique, mais ce dont je jouis n’existe pas que dans un acte inséparable du chanteur lui-même ; aussitôt que son travail — le chant — est terminé, ma jouissance est, elle aussi, terminée… », K. MARX, « Matériaux pour l' »économie »», op. cit., 1968, p. 396-397.
[55] Voir note n° 35.
[56] K. MARX, Salaire, Prix et Profit, op. cit., p. 48.
[57] Karl POLANYI, op. cit., p. 334-335 (souligné par nous, J.-P. A.).
Voir également la citation de M. de VROEY note n° 47, qui ne peut lui non plus s’empêcher d’utiliser le concept de location.
[58] « « Le salarié est au capitaliste ce que le locataire est au propriétaire« . Ceci est complètement faux. Dans la question du logement, nous avons, en face l’une de l’autre, deux parties : le locataire et le logeur ou propriétaire. Le premier veut acheter au second l’usage temporaire d’un logement ; il a de l’argent ou du crédit (…) Il s’agit là d’une simple vente de marchandise, non d’une affaire entre prolétaire et bourgeois, entre ouvrier et capitaliste (…) Tout ce qui caractérise la vente de la force de travail au capitaliste manque ici totalement. Les capitalistes dont reproduire en premier lieu sa valeur à la force de travail qu’ils ont achetée ; puis une plus-value qui reste provisoirement entre leurs mains, en attendant qu’elle soit répartie entre les membres de la classe capitaliste. Il y a donc ici production d’une valeur excédentaire ; la somme totale de la valeur existante se trouve augmentée. Il en va tout autrement dans une location de logement. Quels que soient les avantages exorbitants que le propriétaire tire du locataire, il n’y a jamais ici que le transfert d’une valeur déjà existante, produite auparavant ; la somme totale des valeurs possédées ensemble par le locataire et le logeur reste la même après comme avant. L’ouvrier, que son travail lui soit payé par le capitaliste à sa valeur, au-dessus, ou au -dessus, est toujours escroqué d’une partie du produit de son travail ; le locataire seulement dans le cas où il doit payer le logement au-dessus de sa valeur. C’est donc déformer complètement les rapports entre locataires et logeurs que vouloir les identifier à ceux qui existent entre travailleurs et capitalistes. », F. ENGELS, op. cit., 1976, p. 28-29.
[59] D’après les traductions auxquelles nous avons pu accéder, le droit soviétique n’utilise pas le terme de location pour caractériser le contrat de travail. Mais il n’utilise pas davantage ceux d’achat et de vente En présentant l’échange capital social/travail comme un contrat de prestation de service interdisant au capital social de modifier unilatéralement l’affectation de l’ouvrier, le droit soviétique reconnaît que ce dernier demeure le propriétaire de sa force de travail pendant le temps où il la met à disposition du capital, ce qui implique qu’il la loue et non qu’il la vende, fût-ce momentanément : « Article 8. Les parties contractantes et le contenu de travail.
Le contrat de travail est un accord entre le travailleur et l’entreprise … par lequel le travail s’engage à exécuter un travail conforme à une spécialité, à une qualification ou à une fonction déterminées en respectant le règlement intérieur de travail tandis que l’entreprise … s’engage à verser au travailleur un salaire et à lui garantir les conditions de travail prévues par la législation du travail, la convention collective et l’accord des parties. (…) Article 12. (…) L’administration n’a pas le droit d’exiger de l’ouvrier ou de l’employé l’exécution d’un travail non prévu par le contrat de travail », Principes de la législation du travail de l’URSS et des Républiques fédérées, Moscou, Ed. de l’Agence de presse Novosti, 1975, p. 12-13.
[60] K. MARX, postface de la deuxième édition allemande, Le Capital, L. I, Paris, E. S., 1971, p. 29.
[61] « Le socialisme moderne est scientifique. De même que la science de la nature ne tire pas ses thèses de l’esprit mais de l’observation sensible de la réalité matérielle, de même les doctrines socialistes et communistes contemporaines ne constituent pas des projets, mais des connaissances de faits existant effectivement », Joseph DIETZGEN, « Le socialisme scientifique », L’Essence du travail intellectuel, trad. par J.-P. Osier, Paris, Maspéro, 1973, p. 113.
« La social-démocratie reconnaît comme base théorique de son action la théorie sociale proposée par Marx et Engels sous le nom de socialisme scientifique, ce qui veut dire qu’elle n’est pas seulement un parti politique chargé de représenter et de défendre des intérêts particuliers, mais qu’elle se réclame également d’une connaissance objective, fondée sur l’expérience », E. BERNSTEIN, Les présupposés du socialisme, trad. de l’allemand par Jean Ruffet et Michel Mozet, Paris, Le Seuil, 1974, p. 33.
« La doctrine marxiste est d’abord une science à laquelle Marx a donné le nom de matérialisme historique. Cette sience, dont Le Capital présente la première réalisation objective, sous une forme d’exposition systématique, est science au sens strict…», Étienne BALIBAR, Pierre MACHEREY, « Matérialisme dialectique », Encyclopaedia universalis, Corpus 14, 1989, p. 695.
[62] « Il est plus facile de trouver par l’analyse le noyau terrestre des conceptions religieuses les plus nébuleuses qu’à l’inverse de développer à partir de chaque condition réelle d’existence ses formes célestifiées. C’est cette méthode qui est l’unique méthode matérialiste, et donc scientifique », K. MARX, op. cit., 1983, p. 418.
« La solution de cette question (l’origine du profit) est, dans l’oeuvre de Marx, le mérite qui fait le plus époque. Elle jette une lumière éclatante sur des domaines économiques où auparavant les socialistes tâtonnaient dans les plus profonds ténèbres sans avantage sur les économistes bourgeois. C’est d’elle que date, c’est autour d’elle que se groupe le socialisme scientifique », F. Engels, L’Anti-Dühring, Paris, E. S., 1973, p. 232-233.
[63] « Jusqu’à une date récente, on n’accordait à MARX, dans les milieux universitaires, qu’un silence méprisant, rompu occasionnellement par quelque note railleuse en bas de page », Joan ROBINSON, Essai sur l’économie de MARX, trad. par A. et C. Alcouffe, Paris, Dunod, 1971, p. VII.
[64] « L’accumulation de richesse à un pôle signifie donc en même temps à l’autre pôle une accumulation de misère, de torture à la tâche, d’esclavage, d’ignorance, de brutalité et de dégradation morale pour la classe dont le produit propre est, d’emblée, capital », K. MARX, op. cit., 1983, p. 724-725.
« le système du travail salarié est (…) un système d’esclavage et, à vrai dire, un esclavage d’autant plus dur que se développent les forces sociales productives, quel que soit le salaire, bon ou mauvais, que reçoit l’ouvrier », K. MARX, F. ENGELS, Critique des programmes de Gotha et Erfurt, Paris, É. S., 1972, p. 39-40.
« Autrefois le travailleur vendait une force de travail, la sienne, dont, en tant que personne formellement libre, il disposait. Il vend maintenant femme et enfant. Il devient marchand d’esclaves. La demande en travail d’enfants ressemble d’ailleurs souvent dans sa forme, aux demandes d’esclaves noirs, telles qu’on avait coutume de les lire dans des annonces de journaux américains », K. Marx, op. cit., 1983, p. 445.
« Comme l’esclave, le travailleur salarié doit avoir un maître pour le faire travailler et le diriger. Et une fois admis ce rapport de domination et de servitude, il est normal que le travailleur salarié soit contraint de produire son propre salaire et, par surcroît, le salaire pour la surveillance, comme compensation du travail de direction », K. MARX, op. cit., 1968, p. 1146.
N. B. Même quand il fait mine de distinguer l’esclavage du salariat, Marx ne peut s’em-pêcher, parfois, de les définir par la même propriété : « …dans l’esclavage …c’est la force de travail proprement dite qui est vendue (…) dans le salariat, c’est (l’ouvrier) lui-même qui vend sa force de travail… », K. Marx, op. cit., 1983, p. 607.
[65] « Au lieu de parler de travail salarié, on parle de « services », terme qui oblitère le caractère spécifique du travail salarié et de son usage visant à accroître la valeur des marchandises contre lesquelles il est échangé, à créer de la plus-value ; le rapport spécifique qui transforme en capital l’argent et la marchandise se trouve ainsi effacé. Service, c’est le travail considéré uniquement comme valeur d’usage (chose accessoire dans la production capitaliste) », K. MARX, Matériaux pour l' »économie », op. cit., 1968, p. 468.
[66] K. MARX, op. cit., 1983, p. 301.
[67] « Non seulement, donc, la survaleur s’accroît mais les dépenses nécessaires à l’extorsion de celle-ci diminuent », K. MARX, Ibid., p. 455.
[68] Voir note n° 64.
[69] « Ils déclenchèrent une révole ouverte non seulement contre la loi de 10 heures, mais aussi contre toute la législation qui depuis 1833 cherchait à brider autant que possible la « libre »succion de la force de travail », K. MARX, op. cit., 1983, p. 319.
[70] « Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampyre du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage », K. Marx, op. cit., 1983, p. 259.
[71] Voir Nicolas Werth in Stéphane Courtois, éd., Le Livre noir du communisme, 1997.
[72] En comparant les mérites respectifs de l’explication darwinienne et de l’explication marxiste de la lutte des classes, Engels admet la valeur de principe de la première qui, pour être plus superficielle et plus pauvre, n’est pas pour autant absurde : « A elle seule, la conception de l’histoire comme une suite de luttes de classes est plus riche et plus profonde que sa simple réduction à des phases à peine différenciées de la lutte pour la vie », F. ENGELS, Dialectique de la nature, Paris, E. S., 1975, p. 317.
« Tout ce qui naît mérite de périr ». Si Engels rappelle cette citation du Faust de Goethe, ce n’est que pour mieux évoquer le « cycle éternel de la matière » qui conduit la vie pensante à disparaître de tel planète et de tel moment de l’univers pour mieux renaître ailleurs : si l’on veut que « des animaux avec un cerveau capable de penser » sortent « de leur sein, … innombrables » sont « les êtres organiques qui doivent d’abord apparaître et périr », Ibid., p. 45-46
A cette loi de l’univers, la forme dans laquelle Marx transmet sa pensée peut-elle échapper ?
[74] C’est en partant du droit de l’homme sur les fruits de son travail — présupposé par la théorie de l’exploitation et expressément reconnu par les articles 16 et 5 des Déclarations des droits de l’Homme de 1791 et 1795 respectivement — et en développant la théorie jurisprudentielle de l’enrichissement sans cause, fondée sur ces articles, qu’il nous apparaît possible de redonner consistance au concept marxien d’exploitation.
« Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus du fruit de son travail et de son industrie », art. 16, Déclaration des droits de l’homme de 1791, in F. WORMS, Droits de l’homme et philosophie, Paris, Presses Pocket, 1993, p. 78 (souligné par nous, J.-P. A.) : dans La Question juive, Marx fait totalement l’impasse sur ses formules, vraisemblablement lockiennes, pour ne retenir que celles qui répondent à ses présupposés.