Hymne à la Raison de Sébastien-Charles Leconte, poète français ( – )
Puisque tu viens, Épouse austère,
Immortelle et sainte Raison,
Châtier des dieux de la Terre
L’inconsciente trahison,
Dépouille, ô flamme solitaire,
La sombre forêt du mystère
De sa malsaine frondaison,
Et chasse l’ombre délétère
Des désirs dont la brume altère
Le cercle entier de l’horizon.
Mes mains au vol ont pris la trombe
Des rêves qui troublaient mes sens,
Et mon âme sera la tombe
De leur foule aux cris impuissants :
Que sur les captifs qu’il surplombe
Le roc de mon vouloir retombe,
Et que les souffles mugissants,
Où, dans un orage, succombe
Le courroux de leur hécatombe,
Fument vers toi comme un encens.
Et, de ce sol, que leur supplice
Consacre pour ton culte pur,
Je veux qu’à mes accents jaillisse
L’assise du temple futur :
Qu’un linceul de pierre complice
À tout jamais ensevelisse
Les destins de mon songe obscur,
Pour qu’attestant le sacrifice,
Les murs du suprême édifice
Éclairent le suprême azur.
Vaincu, je suis encor le maître
De qui les terribles travaux,
Dignes de l’athlétique ancêtre
Des races dont je me prévaux,
Au frein sacré savent soumettre
Du rythme, du nombre et du mètre
Les fougueux et divins chevaux,
Et peuvent, pour les temps à naître,
Appeler aux gloires de l’être
La strophe aux quadriges rivaux,
Et ma force accepte t’augure
De cette aurore pleine d’yeux,
Où le chœur des odes fulgure
De l’or des buccins radieux,
Où, des visions que j’abjure
Repoussant vers la nuit obscure
La foule aux regards odieux,
Frissonne l’immense envergure
Du Verbe en qui se transfigure
La face morte de mes Dieux.
Pour Celle dont la main délivre
Quiconque a reconnu ses lois
Éveillez-vous, vous dont s’enivre
L’auguste majesté des bois,
Paroles d’or, hymnes de cuivre,
Que l’aile des vents ne peut suivre !
Et toi, qui vibres et qui vois,
Esprit de la pierre et du livre,
Souffle sans qui rien ne peut vivre,
Ame des lyres et des voix,
Toi, que vainement répudie
L’exacte et sévère beauté,
Gardant, en ses voiles roidie,
L’inexorable vérité,
Chante, et gronde, et sois l’incendie,
D’où surgira, haute et hardie,
L’immortelle et calme cité,
Que, dans ma pensée agrandie,
Ma libre volonté dédie
À la dernière Déité.
la Raison de Sébastien-Charles Leconte, poète français ( – )
Écoute-moi, Passant des heures, toi qui foules
L’immesurable bloc qu’en ton rêve dompté
Erigèrent les cent bras de ta volonté,
Montagne d’or debout sur la brume des foules :
Écoute-moi, quêteur du dernier horizon !
Je suis cela qui parle au plus profond de l’Homme,
Cela par quoi mourront tes dieux, et que l’on nomme,
Dans la terrible nuit d’où je viens : Ta Raison.
Le seul fait que j’existe a réglé la balance
Dont rien ne troublera l’équilibre voulu,
Et, par leur propre poids, au ciel de l’absolu,
Oscillent lentement mes plateaux de silence,
Mon pouvoir est égal à mon droit souverain :
L’immanence des lois en moi-même est latente,
Et nulle main rebelle impunément n’attente
A la sombre équité de mon fléau d’airain.
Mon immobilité laisse le chœur des lyres
S’accorder aux accents des mortelles douleurs,
Et le désir crédule, en tunique de fleurs,
Effeuiller dans les vents le printemps des sourires.
Au firmament futur je ne daigne pas voir
Ces lueurs que les Temps prennent pour une aurore,
Et mon indifférence aux yeux calmes ignore
Les bras tendus de la détresse et de l’espoir.
Je n’entends pas les pleurs des souffrances mystiques ;
Les martyrs à mes pieds, dans leur robe de sang,
Sans un regard de moi, meurent, en bénissant
Le mirage anxieux des veilles extatiques.
Je suis à qui me sert et je n’ai pas d’élus :
Mais le fier révolté, dont le hautain génie,
Sur les bûchers du verbe ou de l’acte, me nie,
Est un esclave enfui que je ne connais plus.
Ma limite est en moi : nul vouloir ne dépasse
L’inexorable borne où mon règne unit :
Et quiconque s’exile est de mes yeux banni
Et devient l’égaré vacillant de l’espace.
De quelque glaive ardent que son bras soit armé,
Si grand que soit celui qui brise mon étreinte,
Il n’élargit jamais ma redoutable enceinte,
Car le cercle rompu sur lui s’est refermé.
Mais j’appartiens à qui marchera dans mes voies,
À qui peut affronter, sans trembler dans sa chair,
Le rayonnement de mes prunelles de fer…
Et, sous la forme en qui je veux que tu me voies,
J’incline vers ton front pâli, mais indompté,
Où la foudre en tombant a mis de la lumière,
La sévère splendeur de ma beauté plénière,
Et, seule dans ma force et dans ma vérité,
Épouse aux bras sacrés, j’apporte pour douaire
Au chaste conquérant dont j’ai guidé les pas,
Qui m’attendait dans l’ombre et ne me craindra pas,
La royauté du Monde aux plis de mon suaire.
Si les routes du ciel ont brisé ton essor,
Si les rouges éclats de la foudre lancée
Du chariot de feu qui portait ta pensée
Ont fracassé l’ardent essieu d’ébène et d’or,
Si ta chute a rayé la nuée écarlate
D’un triple rayon d’ombre et de flamme et de sang,
Si tes coursiers, cabrés dans leur vol impuissant,
Ont mesuré, d’un œil que la terreur dilate,
L’abîme d’épouvante où t’a précipité,
En ta pourpre d’orgueil dérisoire et qu’embrase
La mystique splendeur des gloires de l’extase,
De tes espoirs trahis l’immense vanité ;
Relève-toi, Vaincu que mon geste consacre !
L’épreuve t’a trempé pour de nouveaux combats :
Je viens à toi, sereine et tranquille, et là-bas,
La nuit des dieux descend sur un soir de massacre,
Je t’apporte la force avec la liberté ;
Du désert de tes jours j’ai chassé les présages,
Dominateur ! qui du labeur entier des âges,
As, du droit que t’a fait ta naissance, hérité :
Je t’appartiens : je suis aussi la délivrance :
Toi qui, le front nimbé d’un joug de flamme et d’or,
Fus l’esclave superbe et frémissant encor
De ton propre désir et de ton espérance,
Sors de l’armure dont t’aveuglaient les éclairs ;
Brise l’épée horrible où ta main s’ensanglante,
Et dépouille la panoplie étincelante
Forgée au même bronze où se forgeaient tes fers.
Je te donne, s’il faut que quelque jour tu venges
Le désastre fatal de ton rêve divin,
Le bouclier sur qui s’émousseront en vain
Et l’épieu des maudits et le glaive des anges.
Et sache, dans cette heure où j’arme enfin ton bras,
Que le sceptre de l’œuvre humaine est au plus digne ;
Les lettres de mon nom désormais sont le signe
Par lequel si tu veux être à moi, tu vaincras.
Sur ce roc que la nuit visionnaire ronge,
Monte sans crainte au trône ardent où je me sieds ;
Laisse, comme la mer, expirer à tes pieds
Les assauts monstrueux du doute et du mensonge,
Et, par dessus l’amas lourd des morts ennemis,
Vois s’élargir, au vol de l’aigle vexillaire,
Jusqu’aux confins derniers que ma présence éclaire,
Cet empire ancestral à ton destin promis.
Hymne à la raison par Méhul, Étienne-Nicolas (1763-1817), compositeur
L’HYMNE À L’ÊTRE-SUPRÊME ET LE CHANT DU DÉPART: UN SIMPLE MOT À L’OCCASION D’UN ARTICLE DE M. J. TIERSOT