La France, République laïque de droit divin ou République évangélique de droit laïque ?
Légitimité religieuse et crise de légalité dans le « bloc de constitutionnalité »[1]
par Jean-Pierre AIRUT,
journaliste, chargé de cours à Paris V
et à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
« La laïcité […] ne ressemble pas aux caricatures qu’on fait d’elle. Ce n’est pas parce qu’on en parle fort qu’on y connaît quelque chose », Alain Bauer[2].
« Les débats sans cesse renaissants autour de la laïcité font souvent apparaître que, tout en se référant à la législation laïque, ceux qui la défendent, comme ceux qui la contestent et voudraient la faire évoluer, la connaissent assez mal ou l’interprètent à la lumière de leur conception personnelle de la laïcité », Philippe Levillain[3].
Pour répondre à la montée des intégrismes religieux en général et islamiste en particulier, la France a durci sa politique de la laïcité sous les présidences de Jacques Chirac. L’analyse des prises de position de Paris lors de l’adoption du préambule de la Charte européenne des droits fondamentaux permet de mettre au jour un des paradoxes en même temps qu’un des secrets les plus jalousement gardés de l’Hexagone. Sauf à être une République laïque de droit divin, la France est une République chrétienne de droit laïque, ce qui revient à dire une République évangélique. C’est peu dire que le « bloc de constitutionnalité » de ce pays est en « crise de légalité ».
En réaction contre la montée des intégrismes religieux — islamique en tête —, la France a, au cours de la dernière époque, durci sa politique de la laïcité aux niveaux national et communautaire. À la fin des années 1990, elle s’est d’abord opposée à ce que le préambule de la Charte européenne des droits fondamentaux fasse mention de l’« héritage religieux » du Vieux Continent. Sur ce dossier, le Président de la République néo-gaulliste, Jacques Chirac et le Premier ministre socialiste, Lionel Jospin, ont agi de conserve, tant la « défense de la laïcité » est en France un objet de consensus après avoir été pendant longtemps, il est vrai, un sujet de discorde, pour ne pas dire de « guerre ».
Sur le front intérieur, le Parlement n’est pas demeuré en reste en adoptant, le 15 mars 2004, une loi qui « encadr[e], en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics »[4]. Voulue par le président Chirac et votée au terme d’un vaste débat public[5], la loi a reçu, à l’Assemblée nationale, l’appui de la quasi unanimité du groupe socialiste (140 sur 149) ainsi que celui d’une forte minorité des groupes U.D.F. (13 sur 30) et communistes et républicains (7 sur 22)[6]. Au terme de son adoption, la loi — dont le projet avait été soumis au Conseil d’État — n’a pas été déférée au Conseil constitutionnel par une des autorités habilitées à le faire[7].
L’étude des tenants et aboutissants conceptuels, « passionnels »[8] et « fantasmatiques »[9] de cette « politique de raidissement laïque » que nous nous proposons de conduire ici nous paraît bienvenue à deux titres. Elle n’est pas inutile, pour commencer, au moment où l’actuel président de la République et ancien ministre de l’Intérieur et des Cultes, Nicolas Sarkozy, aimerait dégager une approche « positive » ou encore « ouverte » de la laïcité se donnant pour principaux buts de gallicaniser l’islam en finançant la construction de mosquées par de l’argent ouvertement national et public et d’inciter les fidèles de toutes obédiences à se fondre dans la République et à la servir activement en reconnaissant la dignité de leurs croyances respectives.
Le second intérêt de l’étude proposée est qu’elle s’avère riche d’enseignements. Non contente d’établir en quoi la « laïcité à la française »[10] — à moins que ce ne soient les « droits de l’homme à la française » — est le lieu d’une triple crise de légalité, de légitimité et d’identité, elle permet en effet de prendre la mesure de « l’énigme de la laïcité à la française », si ce n’est de la résoudre en partie. À travers le concept d’énigme, nous visons, ici, six questions ignorées, éludées ou demeurées sans réponse jusqu’à ce jour selon nous :
1° Pourquoi la notion de laïcité que la France entend exporter tous azimuts à raison de son universalité se laisse-t-elle si peu traduire dans les langues non romanes[11], y compris dans celles des pays qui se sont sécularisés et se montrent ainsi aussi tolérants qu’elle[12] ?
Est-ce parce que les peuples anglo-saxons et germaniques se refusent, par pure jalousie, à forger un terme appelé à désigner un concept que l’humanité devrait au génie français[13] ? Ou parce que ces peuples ne sont pas assez subtils pour se représenter la « laïcité à la française » en ce qu’elle a d’« exceptionnel »[14] ? Ou parce que le concept désigné par le terme de « laïcité » est bien trop fluctuant[15] pour que les cultures non romanes parviennent à en fixer le sens et bien trop ténu pour qu’elles réussissent à le distinguer des concepts de « sécularisation »[16], de « soumission du religieux au droit commun »[17] ou de « rationalisme »[18] qu’il recoupe largement mais auxquels il prétend, quant à lui, ne pas se réduire pour autant[19] ?
2° Pourquoi les rédacteurs de la loi du 9 décembre 1905 pour commencer, puis la jurisprudence, et enfin la doctrine et les médias emploient-ils le terme de « séparation » pour dénommer[20] ou résumer[21] le contenu de ce texte fondateur de la laïcité ?
À examiner sa lettre autant que son esprit, on s’aperçoit, en effet, que cette loi n’a pas pour effet de séparer l’État des Églises, mais seulement de restreindre ou de réaménager leurs rapports ainsi que la doctrine et les partisans de la laïcité l’admettent eux-mêmes en relevant, qui ses « limites »[22] et qui les « entorses » à son objectif déclaré. Outre que ce texte oblige l’« État laïque » à organiser et financer — sous prétexte de « neutralité bienveillante » [23] — un service public de la religion au profit des fidèles privés de liberté de mouvement à travers les aumôneries d’abord, puis les programmes religieux des chaînes publiques, elle lui impose d’entretenir également à grands frais la plupart des lieux de culte catholique[24] !
Le terme « séparation » rend d’autant moins compte de son contenu que c’est dès son « titre I » — contrairement à ce qu’estiment le Grand Orient de France et la doctrine[25] — que les représentants du peuple français trahissent la promesse de « séparation » contenue dans son titre : en disposant que « la République assure la liberté de conscience [et] garantit le libre exercice des cultes […] », la Loi de 1905 ne soustrait en effet l’État à l’emprise d’une religion que pour mieux en faire le protecteur de toutes les religions. Ce qui implique — si les mots ont un sens — que l’État ne soit pas « séparé » des religions mais qu’il entretienne, au contraire, des « rapports »[26] constants avec elles, car comment exercer la tutelle d’un domaine duquel on serait « séparé » ou se déclarer « séparé » d’un domaine dont on a bel et bien la tutelle ? Comprenne qui pourra…
Cette mission de protection de la liberté des cultes soustrait d’autant moins le « fait religieux » au « public »[27] qu’il échoit à l’État prétendument « séparé » une autre mission d’importance, celle de maintenir l’ordre non seulement à l’extérieur mais aussi à l’intérieur des lieux de culte !
S’il était vrai que la loi de 1905 « sépare » le religieux de l’État autant qu’il se le dit et se le répète tous les jours, on ne comprendrait pas que notre « République laïque » ait conservé un « ministère des Cultes » financé sur fonds publics qui plus est.
Comme ces exceptions sont trop nombreuses pour confirmer la règle, on peut et doit se demander pourquoi le législateur a retenu le mot « séparation » pour intituler la Loi de 1905. Est-ce par méconnaissance de la signification que ce terme a pour le commun des Français et des francophones ? Est-ce pour signifier que la loi de 1905 n’était qu’une étape sur le chemin de « la séparation des Églises et de l’État », la séparation formant un objectif à long terme dès lors que la loi de 1905 a pour titre « loi concernant la séparation des Églises et de l’État » et non pas « loi établissant ou instituant la séparation des Églises et de l’État » ? Ou est-ce pour atténuer aux yeux des « laïcards de base » la portée des concessions que leurs représentants avaient dû consentir afin de créer autour de la loi de 1905 le plus large consensus qui soit, ce consensus fût-il artificiel[28] et voué à engendrer autant de confusions et de malentendus ou de dialogues de sourds que de querelles et de procès d’intentions ?
3° Pourquoi les rédacteurs de la Constitution de 1946 et ceux de la Constitution de 1958 ont-ils introduit dans ces textes la notion de laïcité si elle est aussi originellement confuse que l’estime le philosophe Marcel Gauchet[29] ; aussi sujette à des interprétations contradictoires de la part de ses propres partisans que le constate, après Émile Poulat[30], la Mission d’information de l’Assemblée nationale[31] ; et surtout aussi « juridiquement équivoque »[32] que le Conseil d’État l’admet lui-même ?
4° Pourquoi — pour y introduire la notion de laïcité — les rédacteurs des constitutions de 1946 et 1958 ont-ils qualifié la « République » de « laïque » alors même qu’ils savaient cette définition d’emblée inapplicable à certains pans de notre droit positif ainsi qu’à diverses parties du territoire et non des moindres ?
Était-ce pour exclure de la République — à l’encontre de son principe d’« indivisibilité »[33] — les trois départements métropolitains d’Alsace-Moselle[34], pour lesquels les Français avaient pourtant versé leur sang à trois reprises et par millions ? Pour suggérer que la laïcité n’était pas une obligation juridique, mais un idéal moral que la République n’était pas tenue de respecter à chaque instant ni partout ? Pour laisser entendre que « la laïcité » n’était qu’un attribut imaginaire de la République — de nature au mieux « métaphysique »[35] et au pire « marketing » — destiné à la rendre plus intéressante aux yeux de son peuple et du monde, et non pas à rendre compte de sa nature objective ? Ou était-ce pour signifier que la laïcité n’était nullement incompatible avec l’existence de rapports de coopération entre les religions et la République ainsi que — bien avant le Président de la République Nicolas Sarkozy — le pensait déjà un Ferdinand Buisson[36], si ce n’est un Jean Jaurès[37], et que l’État n’avait donc nullement besoin d’être « séparé » des religions — contrairement à ce que laisse entendre la fallacieuse dénomination de la Loi de 1905 — pour être séculier à l’instar des États qui, quoique liés à une religion, respectent les droits des autres religions (Danemark, Royaume-Uni, Pays-Bas, Israël, etc.), et que c’est en ce sens de séculier qu’il fallait entendre le terme de « laïque » tel que les Constitutions de 1946 et de 1958 l’emploient ?
5° Par quel malin génie le Conseil d’État[38], le gros de la doctrine[39] et les rapporteurs parlementaires[40] tiennent-ils à ériger — qui, en « principe juridique », qui, en « principe » tout court — la notion de laïcité alors que le terme « principe » n’apparaît ni dans la Constitution de 1958[41] ni dans le Préambule de la Constitution de 1946[42] et que le terme « laïque » ne figure lui-même ni dans la Loi de 1905 ni dans celles qui la précèdent[43] en dépit leur appellation consacrée de « lois laïques »[44] — ce qui devrait interdire au concept de laïcité d’être tenu pour un des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République »[45] ; que le Conseil d’État et la doctrine n’ont — pas plus que le Conseil constitutionnel — déduit l’existence d’un « principe de socialité » de l’article 1er de la Constitution qualifiant la France de « République […] sociale »[46] ; que la Cour européenne des droits de l’homme ne reconnaît l’existence du « principe de laïcité » dans la « tradition constitutionnelle » de « plusieurs » membres du Conseil de l’Europe que pour mieux en limiter les applications[47] ; que le Conseil constitutionnel s’est jusqu’à présent abstenu de reconnaître l’existence du « principe de laïcité » dans le droit national[48] ; et alors que le « principe de laïcité » tel qu’il est interprété par le législateur, l’exécutif et le juge non constitutionnel donne lieu à des interprétations[49] et des applications[50] pour le moins contradictoires puisqu’elles vont jusqu’à reconnaître à l’État le droit, parfois, de s’immiscer dans la vie des cultes[51] et de fausser leur concurrence[52] ! ?
6° S’il est vrai que la laïcité a pour double propriété d’être l’objet d’un « large consensus »[53] et de diviser ses propres partisans, pourquoi et comment cette croyance — collective à nos propres yeux mais singulière à ceux des autres peuples — « structure[-t-elle] l’état esprit des Français »[54], étant entendu que cette question recouvre en réalité deux séries d’interrogations ?
La première : comment une même croyance peut-elle à la fois diviser et unifier ? Est-ce parce que les Français qui y adhèrent et ceux qui la rejettent ne sont pas les mêmes ? Ou parce qu’elle aurait pour effet d’unifier et de diviser « l’état d’esprit » de chaque Français qu’elle conduirait — par suite de sa confusion originelle, de ses fluctuations sémantiques et de son équivocité juridique — à adopter en son nom des prises de position contradictoires, comme, par exemple, à refuser le financement des cultes — musulmans ou non musulmans — au nom de « la séparation des Églises et de l’État » et à refuser la réforme de la Loi de 1905 qui autorise justement, on l’on montré, plus d’un financement du culte ?
Seconde question : « la laïcité » divise-t-elle les Français plus qu’elle ne les rassemble, ou les rassemble-t-elle plus qu’elle ne les divise ? Si elle les unifie plus qu’elle ne les sépare — à la manière de ces « ambiguïtés constructives » dont les diplomates ont le secret —, pourquoi ne les unifie-t-elle pas davantage encore ? Est-ce parce que les Français les plus religieux la refusent par dogmatisme ? ou parce qu’elle reste trop confusément, trop équivoquement et, par là même, trop imprévisiblement définie pour ne pas inquiéter ceux qui seraient prêts à y adhérer si elle se présentait sous des traits clairs, univoques et prévisibles, c’est-à-dire à géométrie moins variable ?
Si la laïcité divise les Français plus qu’elle ne les rassemble, pourquoi diable y demeurent-ils à ce point attachés ? Est-ce parce qu’ils se sont querellés à un certain moment de leur histoire, ont trouvé matière à se grandir à leurs propres yeux à travers cette querelle, se sont pour cette raison accoutumés à se quereller au point de ne plus pouvoir s’en passer et qu’ils ne sauraient, dans ces conditions, renoncer à pareille aubaine, à savoir pouvoir se quereller sur fond d’accord ? Ou est-ce parce qu’ils trouvent dans la laïcité le moyen de se trouver « exceptionnels » par rapport aux autres peuples et /ou de se sentir fidèles à eux-mêmes en dépit de la mondialisation et des révisions humiliantes auxquelles elle oblige souvent[55] ? Ou bien est-ce parce que les conflits que « la laïcité » suscite parmi les Français — quand ce n’est pas à l’intérieur de chaque Français on l’a vu — servent des factions qui feraient obstacle à la clarification de son concept afin de mieux les entretenir ?
Au terme de cet inventaire des questions en suspens et avant d’entrer dans le vif de notre sujet, précisons que nous examinerons la position du gouvernement français lors de la rédaction du préambule de la Charte européenne des droits fondamentaux d’un point de vue, d’abord juridique [1], puis métajuridique [2], ce qui revient politique, sociologique et philosophique.
1. Analyse juridique
Avec le soutien du Portugal, les représentants de la France ont donc refusé de se rallier[56] au projet de préambule de la Charte européenne des droits fondamentaux soutenu par l’Allemagne, où l’Union se déclarait « consciente de son héritage culturel, humaniste et religieux ».
Pour motiver son refus, le gouvernement français a argué de l’incompatibilité de cette référence avec la Constitution de la Ve République. À première vue, cette dernière est, il est vrai, on ne peut plus formelle : dès l’article 1er, ne déclare-t-elle pas que « la France », en plus d’être une « République démocratique » et « sociale », est « laïque » ? La formule est assez explicite et générale pour que le Conseil d’État, le législateur[57] et la doctrine y voient un des lieux d’expression du « principe de laïcité ».
En bataillant ainsi, nos gouvernants n’auraient pas seulement défendu la vocation exclusivement terrestre (i.e. non céleste) que la nation française s’assigne expressément depuis l’article 1er de la Constitution de 1946 où apparaît déjà la formulation de l’article 1er de la Constitution de 1958. Ils auraient également fait preuve de clairvoyance politique dans la mesure où la laïcisation de la Charte ne peut que favoriser l’identification à l’Union européenne et à ses valeurs des populations non chrétiennes vivant sur son territoire.
Et pourtant, cet argumentaire prête à caution. Notre « bloc de constitutionnalité »[58], c’est-à-dire l’ensemble de règles de valeur constitutionnelle auxquelles les lois de la République doivent se conformer pour être légales, ne se réduit pas en effet à la simple Constitution de 1958 : outre le « Préambule de la Constitution de 1946 », les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », les « principes à valeur constitutionnelle » et la « Charte de l’environnement », ce « bloc » comprend en effet la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 »[59].
Or, dans son Préambule[60], la Déclaration de 1789 contient une référence religieuse et non des moindres : de la manière la plus explicite qui soit, elle indique en effet que c’est « en présence et sous les auspices de l’Être suprême » que « l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare les droits suivants de l’Homme et du Citoyen » !
Cette référence est d’autant plus remarquable qu’elle est quantitativement et qualitativement plus marquée que celle appelée à figurer dans le projet de préambule de la Charte européenne et récusée par le gouvernement français : 1° Le Préambule de 1789 consacre à son évocation religieuse vingt-trois mots, là où le projet de préambule européen se contentait de cinq (« conscients […] de l’héritage […] religieux ») ; 2° Le Préambule de 1789 ne mêle pas à son évocation religieuse celle de l’« héritage moral » comme le faisait le projet de préambule européen ; 3° Le Préambule de 1789 — en évoquant l’« Être suprême », c’est-à-dire l’objet même de la croyance — se rapporte à la religion en ce qu’elle a d’irréductible et non pas à la religion en tant qu’elle est, à côté de l’« humanisme », une des composantes de l’« héritage culturel » européen ; 4° Le Préambule de 1789 ne se rapporte pas au religieux pour suggérer, comme le faisait le projet de préambule européen, le lien causal qui pourrait exister entre notre passé « religieux » et les « droits fondamentaux », mais pour reconnaître la réalité même de l’« Être suprême », puisque c’est « en [sa] présence » que l’Assemblée nationale affirme « reconnaître et déclarer » les « droits suivants de l’Homme et du Citoyen » ; 5° En demandant à « l’Être suprême » de patronner la reconnaissance « des droits […] de l’Homme et du Citoyen » et de sacraliser — pour ne pas dire diviniser — par là même ces droits, le Préambule de 1789 assigne à la religion un rôle actif et présent, ce que se gardait de faire le projet de préambule de Charte européenne…
S’il est exceptionnel que des auteurs contestent expressément l’existence d’une référence religieuse[61] dans le texte que notre République « laïque » place à son pinacle (et que certains appellent son « catéchisme national »[62] par une ironie de l’histoire dont ils ne sont probablement pas conscients), la plupart omettent de la signaler[63]. Les rares auteurs qui la relèvent ne le font d’ailleurs — à deux exceptions près sur lesquelles nous reviendrons[64] — que de manière anecdotique, c’est-à-dire sans chercher à en comprendre la signification historique, philosophique et théologique[65].
Les spécialistes du droit qui signalent cette référence ne sont guère nombreux[66] : trois seulement des quarante articles ou ouvrages que nous avons consultés pour préparer cet article l’évoquent un tant soit peu[67] — et on ne voit pas pourquoi ils seraient plus nombreux à le faire, dès lors que la plupart des manuels de droit constitutionnel la passent sous silence et que le Conseil d’État lui-même s’abstient d’en faire état dans les avis[68], rapport[69] ou ouvrage[70] de ses membres…
Pour expliquer un tel silence, on ne saurait retenir l’hypothèse selon laquelle la référence à l’Être suprême n’appartiendrait pas à notre droit positif. Pour que cette référence soit dénuée d’effectivité juridique, une au moins des conditions suivantes devrait en effet être réunie : il faudrait ainsi qu’elle n’ait pas de signification « religieuse » ou « chrétienne », ainsi que le soutient un des auteurs faisant le plus autorité en matière de laïcité[71] ou alors que le préambule de la Déclaration de 1789 ne fasse pas partie du bloc de constitutionnalité.
Aucune de ces conditions n’est cependant réunie. Il est difficile, pour commencer, de soutenir que la référence à l’Être suprême serait dénuée de signification religieuse. Pour qu’elle le fût, il faudrait qu’elle ait été introduite à l’insu du constituant ou que celui-ci ait, au cours des discussions préparatoires, manifesté l’intention de lui attribuer un autre sens que son sens littéral. Du compte rendu des débats, il ressort cependant clairement que les votants étaient conscients de l’existence de cette référence à l’Être suprême et qu’ils ne lui attribuaient pas un autre sens que son sens littéral. Absente de la première version du Préambule, la référence apparaît après que l’eurent réclamée des hommes religieux[72] ainsi que des laïcs aux intentions manifestement religieuses[73]. Un rapprochement entre la religiosité de la Déclaration française avec celle de la Déclaration américaine est, au demeurant, établi par deux représentants[74]. Trois différentes formulations de la référence sont de surcroît soumises à l’appréciation des votants, preuve qu’elle a été aussi méditée que préméditée[75]. Ceux-là mêmes qui contestent l’intérêt d’introduire la référence à l’Être suprême le font au nom de considérations religieuses et non pas laïques : l’argument qu’ils font ainsi valoir est que Son existence et Sa présence vont tellement de soi qu’il n’y aurait pas lieu d’en faire état. Last but non least, une tentative de dernière heure pour éliminer la référence échoue[76]. Autant de considérations qui confirment et étayent la thèse formulée par Christine Fauré dans un article sur lequel nous reviendrons, thèse selon laquelle la référence à l’Être suprême est tout sauf « une concession idéologique » de pure forme « à la littérature de l’époque »[77].
S’il est vrai que la Déclaration de 1789 se compose de deux parties — le Préambule (où l’Être suprême est évoqué) et le corps des dix-sept articles (inventoriant les droits proprement dits) —, il n’est pas moins vrai que ces deux parties forment un tout, sinon indissociable, du moins indissocié.
Au vu de la présentation typographique du texte, le Préambule fait à n’en pas douter partie de la Déclaration puisque c’est en dessous et non au-dessus de son titre qu’il est présenté et que sa version finale est adoptée, le 20 août 1789, au terme du même vote que les articles 1er, 2 et 3, sur la base de la version proposée par « le comité des cinq ».
Le Préambule est également — par sa fonction — inséparable de la Déclaration proprement dite : dans la mesure où il présente les raisons et les buts des dix-sept articles qui la composent, il fait office d’« exposé des motifs ». Comme les juges sont accoutumés à se fonder sur l’exposé des motifs des textes de loi pour en définir le sens et la portée, on ne voit pas pourquoi le Préambule de 1789 ne ferait pas partie de la Déclaration qu’il éclaire et justifie. Si les préambules n’appartenaient pas, au reste, aux textes constitutionnels qu’ils présentent et encadrent, le Conseil constitutionnel aurait-il reconnu au Préambule de la Constitution de 1958 la même valeur qu’à la Constitution de 1958, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer[78], et le Conseil d’État aurait-il lui-même admis, en 1956, la constitutionnalité du préambule de la Constitution de 1946[79] ?
Le préambule de 1789 fait, en outre, bien plus que présenter les motifs de la Déclaration puisque l’Assemblée nationale constituante y définit le statut particulier des droits de l’homme au regard du statut des autres droits en précisant que les premiers sont « le but de toute institution politique » et, par là même, la finalité des seconds…
S’il est vrai qu’un préambule peut — après coup — être toujours dissocié des textes qu’ils présentent, il ne saurait l’être que par l’autorité compétente et qu’au terme d’un acte manifestant sa volonté implicite ou explicite de le faire. La Constitution de 1958 le confirme : en déclarant que c’est au « Préambule de la Constitution de 1946 » que le « peuple français » se « rattache », elle manifeste la volonté du peuple français de séparer la Constitution de 1946 de son Préambule. Or, pas plus dans le Préambule de la Constitution de 1958 que dans celui de la Constitution de 1946, une mention de ce type ne vient exclure le Préambule de 1789 de la Déclaration de 1789 à laquelle le peuple français déclare se « rattacher »[80]. S’il est vrai que le constituant introduit une « réserve »[81] en précisant que le peuple français se rattache « aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 » et non, par conséquent, par la Déclaration de 1789 et son préambule globalement considérés, cette limitation n’a pas pour effet d’exclure le Préambule de 1789 du bloc de constitutionnalité puisque ledit Préambule a justement pour rôle, on l’a vu, d’exposer le pourquoi et le comment des « droits de l’homme et » des « principes de la souveraineté nationale ».
Pour que la référence à l’Être suprême soit caduque, il faudrait qu’une disposition ultérieure l’ait explicitement ou implicitement abrogée. Cette condition n’est justement pas ici remplie. S’il est vrai que le Préambule de 1789 est rédigé cent soixante neuf ans avant l’article 1er de la Constitution de 1958, il entre dans notre droit positif le même jour que celle-ci, puisque c’est au terme du référendum du 28 septembre 1958 qu’ils sont, l’un et l’autre ratifiés par le peuple français. Ainsi, malgré son âge, la Déclaration de 1789 n’est-elle pas plus vieille ou dépassée que la Constitution de 1958. Elle est si peu caduque que c’est elle qui, au contraire, tend à rendre caduques les dispositions ou les interprétations des prétendues « lois laïques » antérieures à son adoption, qui viendraient à la contredire. Au terme du Préambule de 1789 et de sa référence à l’Être suprême, la « loi concernant la séparation des Églises et de l’État » ne saurait ainsi être interprétée comme séparant l’État des religions mais seulement de leurs appareils…
La référence à l’Être suprême n’est pas, pour finir, davantage tombée en désuétude. Pour qu’une disposition puisse dépérir par elle-même de jure, le système juridique dont elle relève doit être coutumier. C’est, en effet, seulement s’il prévoit que les règles applicables sont celles qui sont appliquées par les acteurs juridiques de manière convergente et constante ou répétée qu’elles peuvent perdre leur force exécutoire en l’absence d’une abrogation formelle par l’autorité compétente.
Or, dans un système de droit écrit comme l’est le système français, une disposition ne saurait, par définition, tomber en désuétude de jure : entre la notion de droit écrit et celle de dépérissement coutumier, il existe une incompatibilité de principe, la première ayant pour raison d’être de priver juges et citoyens du pouvoir d’adapter le droit aux changements qu’ils relèvent afin de préserver le monopole des détenteurs du pouvoir constitutionnel, législatif ou réglementaire. Aussi longtemps, donc, qu’une autorité légale n’a pas explicitement ou implicitement abrogé les textes relevant de sa compétence, ils demeurent opposables par les personnes en situation de s’en prévaloir, quand bien même cette autorité légale ou le pouvoir judiciaire auraient, de facto, cessé de les faire respecter.
Dans la mesure où ni le constituant ni le juge constitutionnel n’ont exclu le Préambule de 1789 du bloc de constitutionnalité, la référence à l’Être suprême appartient donc bel et bien à notre droit positif, ainsi que l’estime Blandine Barret-Kriegel, philosophe de formation mais seule auteur de notre échantillon à soulever la question de sa portée juridique actuelle[82].
Un ultime argument — d’ordre psychologique — confirme nos conclusions a contrario : si la référence à l’Être suprême était caduque ou désuète, rapporteurs, auteurs et enseignants ne garderaient pas le silence à son propos : après avoir rappelé pourquoi elle n’appartient pas ou n’appartient plus à notre bloc de constitutionnalité, tous la signaleraient comme l’exemple même de la disposition caduque ou désuète.
Ainsi, contrairement à ce que le gouvernement français de cohabitation a soutenu à la face de toute l’Europe, il n’y avait aucune incompatibilité entre le projet de préambule de la Charte européenne soutenu par l’Allemagne et notre Constitution : celle-ci contient déjà une référence religieuse, de surcroît bien plus marquée, on l’a vu, que celle prévue dans le projet de texte européen. La version qui a été rejetée par le gouvernement français était même plus conforme à la lettre de notre bloc constitutionnel que celle qui a été obtenue !
Si le gouvernement a pris le risque de déplaire à nombre de ses partenaires, ce n’est donc pas pour les raisons juridiques alléguées. Comme il est inimaginable qu’il ait pu agir par ignorance du contenu du Préambule de 1789[83], on peut en conclure qu’il l’a fait pour des raisons politiques, à savoir rassurer ceux que le retour de foi religieuse en général et islamique en particulier troublait. Et pour ne pas avoir à avouer ses motivations anti-religieuses — comme s’il doutait de leur bien-fondé — il a préféré ou mentir au pays et au monde ou se mentir à soi-même. À taire ses motivations, il s’épargnait, dans l’un et l’autre cas, d’avoir à expliquer pourquoi, pour barrer la route à l’islamisme, il fallait bouter le christianisme hors la charte européenne des droits fondamentaux…
2. Analyses métajuridiques
Deux interprétations des rapports entre le préambule de 1789 et l’article 1er de la Constitution sont a priori possibles.
- 2. 1. Au terme de la première, les deux textes seraient incompatibles.
Ils seraient, pour commencer, logiquement incompatibles : là où il y a laïcité, il ne saurait, en effet, y avoir par définition de référence publique — et encore moins juridique — au religieux. La République ne peut être à la fois laïque et de droit divin.
Mais, entre les deux textes, l’incompatibilité serait aussi culturelle : le préambule est rédigé en 1789, à une époque où l’esprit de la population française demeure marqué par la religion catholique ; le second, en 1958, soit une cinquantaine d’années après que républicains, radicaux et socialistes ont voté la « loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État »[84].
Si nos deux textes ont été réunis au sein du même « bloc de constitutionnalité », ce ne serait donc que par un effet du hasard. On peut en effet douter que le constituant de 1958 ait « rattaché » le « peuple français » à la Déclaration de 1789 afin d’intégrer celle-ci dans ledit « bloc de constitutionnalité ». À l’époque, la notion de « bloc de constitutionnalité » n’a pas encore été formée. Si le constituant avait voulu rattacher la Déclaration de 1789 à la Constitution pour fixer le corpus de textes au vu duquel le Conseil constitutionnel contrôlerait la loi à l’avenir, il aurait choisi un verbe plus technique que « se rattacher » ; ou il aurait « rattaché » la Déclaration à la « Constitution » elle-même plutôt qu’au « peuple français » ; ou il aurait procédé au dit « rattachement » dans le titre VII de la Constitution, intitulé « Le Conseil constitutionnel » et non pas dans le Préambule de la Constitution. Au demeurant, on sait que le constituant n’a pas institué le Conseil constitutionnel pour qu’il contrôle la conformité de contenu des lois à la Constitution, mais pour qu’il annule — dans les limites d’un examen de compétences — les dispositions que le législateur viendrait à adopter dans les domaines que les articles 34 et 37 de la Constitution réservent à l’exécutif.
Selon cette première interprétation, le préambule de 1958 « rattacherait » le peuple français à la Déclaration de 1789 et au préambule de 1946 pour des raisons relevant du marketing et de la communication politiques plus que du droit constitutionnel. En rattachant « solennellement » le peuple français à l’héritage constitutionnel le plus glorieux et le plus consensuel du pays, le préambule inscrit la Ve République dans la continuité ; il la fond dans la tradition. Ce qui revient à dire qu’il rassure les électeurs que la Constitution de 1958 risquerait de surprendre, irriter ou inquiéter : or, plus il relie le nouveau régime à ses illustres prédécesseurs, et plus il le légitime. « La Ve République est là pour accomplir et non pour abolir la Révolution de 1789 et la Libération », tel le message que le « rattachement » aurait ainsi pour rôle d’insinuer dans les esprits.
C’est donc à l’intempestive initiative du Conseil constitutionnel de contrôler la conformité des lois à la Constitution quant au fond et pas seulement quant à la compétence que l’on devrait le rattachement proprement juridique de la Déclaration de 1789 à la Constitution de 1958 et, partant, la cohabitation contre-nature, au sein du même « bloc de constitutionnalité », de la référence à l’Être suprême et de l’article 1er sur la laïcité. Dans son improvisation, le Conseil constitutionnel aurait en quelque sorte oublié que, en rattachant la Déclaration de 1789 à la Constitution de 1958, il lui adjoignait aussi le Préambule avec son encombrante référence à l’Être suprême ; ou il ne l’aurait pas oublié mais aurait préféré ne pas séparer la Déclaration de son Préambule de crainte d’attirer l’attention de ses adversaires sur le caractère artificiel et arbitraire du rapprochement de textes qu’il prenait sur lui d’opérer.
Au terme de cette première interprétation, nous serions en présence d’une « crise de légalité » en bonne et due forme — au sens du moins où nous l’avons entendu dans l’étude à l’origine de cet ouvrage[85] : au sein de notre droit positif, deux textes s’excluraient mutuellement et ce d’autant plus qu’ils ont la même valeur juridique, se situent au sommet de la hiérarchie juridique, se rapportent à un même « principe » (celui de la laïcité) et sont incompatibles du fait que la laïcité ne saurait — par définition — tolérer la moindre référence au religieux et qu’il n’existe, pour finir, aucun moyen politiquement acceptable de modifier ici le bloc de constitutionnalité.
Pour empêcher les deux dispositions de se contredire, on ne saurait guère revenir, en effet, sur l’article 1er de la Constitution dans la mesure où ce denier passe, on l’a dit, pour servir de support au sacro-saint « principe de laïcité ».
Modifier le Préambule de 1789 ne serait pas plus aisé, la Déclaration de 1789 étant un texte lui-même trop « religieux » et « trop sacré »[86] pour qu’on puisse le modifier, le ferait-on dans l’intention louable d’en extirper une référence apparemment désuète.
Pour échapper à la crise de légalité, il n’y aurait pas d’autre choix que de faire comme si elle n’existait pas, de pratiquer la politique de l’autruche — fût-ce au prix d’une conspiration du silence susceptible de provoquer au sein des élites françaises les mêmes dégâts que ceux que la psychologie impute aux secrets de famille[87]. Plus d’un indice, on l’a vu, porte pourtant à croire que c’est à ce choix que la classe politique et intellectuelle française s’est résignée, alors même qu’une autre lecture des textes était possible, comme nous nous proposons de le montrer maintenant.
- 2. 2. Au terme de la seconde interprétation, les deux textes sont compatibles.
La seconde interprétation postule qu’il importe peu de savoir comment l’article 1er de la Constitution de 1958 et le Préambule de 1789 ont été réunis dès lors qu’ils se complètent bien plus qu’ils ne s’opposent. S’ils se complètent, c’est parce que les révolutionnaires n’ont reconnu l’existence de l’Être suprême que pour mieux le mettre au service de leur projet laïque. Au moment où ils entreprennent de libéraliser la France, l’Église catholique demeure un adversaire aussi déclaré que résolu du libéralisme, et nombreux sont les Français qu’elle influence. Pour que le nouveau régime puisse s’implanter durablement, les révolutionnaires se doivent ainsi de neutraliser le effets de l’illégitimation religieuse dont les droits de l’homme sont la victime, et ils doivent le faire sans s’aliéner le soutien des Français qui, pour s’identifier à un régime, ont besoin qu’il soit religieusement légitimé. Comme les constituants ne peuvent pas demander à l’Église de cautionner les droits qu’elle condamne, ils n’ont pas d’autre choix que de solliciter le parrainage d’un autre Dieu — d’un Dieu qui soit assez différent du Dieu de l’Église pour que celle-ci n’ait pas à donner son accord, mais assez proche de Lui pour que les catholiques se reconnaissent en Lui malgré tout. Or, ce Dieu à la fois proche et différent est justement celui que désigne l’expression « Être suprême »[88].
À la différence du mot « Dieu », « Être suprême » ne connote pas, en effet, les condamnations du libéralisme que l’Église a associées au premier terme. Pour les catholiques, l’Être suprême n’est ainsi jamais que le Dieu de leur enfance dépouillé de ses oripeaux anti-libéraux et anti-modernistes. L’expression « Être suprême » est d’autant mieux venue ici que — à la différence du terme « Dieu » — elle n’évoque pas non plus la notion d’« Église », elle aussi associée à l’idée de condamnation du libéralisme. Par rapport à une légitimation par l’Église, la légitimation par l’« Être suprême » présente un ultime avantage et non des moindres, celui de permettre non seulement aux catholiques, mais aussi aux protestants et aux juifs (voire aux musulmans) de se reconnaître en Lui dans la mesure où le concept d’Être suprême vise justement ce qu’il y a de commun aux dieux des différentes religions monothéistes, à savoir l’idée d’un Être qui, quoique transcendant à eux, entretient un rapport de paternité avec les autres êtres de la Création. Or, pour pouvoir profiter du patronage d’un tel Être, les révolutionnaires doivent commencer par en poser la réalité puisque aucune des autorités confessionnelles de l’époque ne reconnaît l’existence d’un Dieu aussi abstrait, c’est-à-dire dépouillé des attributs évangéliques ou bibliques (voire coraniques) que chacune d’elle lui prête par ailleurs.
Au terme de cet échange de bons procédés — « ma reconnaissance de Ton existence contre Ta sacralisation de mes droits de l’homme » — les révolutionnaires n’ont rien cédé pour autant. Nulle part leur Déclaration ne reconnaît, pour commencer, de privilège à quelque religion que ce soit. Dans la mesure, ensuite, où leur « Être suprême » n’est pas l’instance qui crée les droits de l’homme, mais celle qui les cautionne après coup, ils interdisent aux Églises qui voudraient se réclamer de Lui de s’ériger en gardien de leur déclaration, ce qui revient à dire en juge de leur définition et de leur interprétation. Dès lors, enfin, que la Déclaration a posé que « les hommes naissent égaux en droit » (art. 1er), exige que la loi soit « la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » (Ibid.) et prévoit que « tous les Citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » (Ibid., art. 6), nul croyant, nulle Église ne peut exciper de la reconnaissance de l’existence publique de l’Être suprême pour demander à bénéficier d’un régime juridique exorbitant au droit commun. À tenter d’obtenir un tel privilège, ils enfreindraient rien moins qu’une recommandation divine, puisque, en avalisant les droits de l’homme, l’Être suprême avalise par là même l’égalité devant la loi et que, sauf à vouloir se révolter contre leur Créateur, fidèles et hommes d’Église ne sauraient aspirer qu’à être des citoyens comme les autres…
Une dernière raison interdit aux chrétiens, plus particulièrement cette fois, d’exciper de la reconnaissance publique de l’« Être suprême » pour réclamer un traitement juridique particulier. Comme le concept d’« Être suprême » recoupe largement, on l’a dit, celui du Dieu créateur des Saintes Écritures tout en se distinguant des représentations que l’Église en a données concrètement, il est le Dieu des Évangiles avant que l’Église n’ait commencé à les interpréter dans le sens de ses intérêts bureaucratiques. Or, il suffit de revenir à la lettre du Nouveau Testament pour s’apercevoir que la conception christique de l’État est « laïque » avant la lettre et pour au moins trois raisons. Les deux premières sont bien connues[89] : en déclarant que « son royaume n’est pas de ce monde » et qu’« il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », le Fils de Dieu nous prévient que Son Église n’a ni la vocation ni le besoin de se développer au sein de l’État et encore moins à son service. Si, dans les faits, l’Église s’est trop de fois montrée « ignorante » ou « fanatique » et a fini par s’allier à l’État et se confondre parfois avec lui à travers le « césaro-papisme » après que Constantin en eut fait la religion de Rome, ce n’est nullement sur les injonctions du Seigneur, mais à leur encontre, ainsi que, dès 1789, des membres du clergé l’ont admis[90] — et, un siècle plus tard, un des plus brillants adversaires de l’Église, Jean Jaurès[91].
On peut d’autant plus souligner la vocation laïque de la religion chrétienne qu’une troisième considération — moins connue que les deux précédentes — témoigne de sa réalité. Au terme de l’Évangile, le salut — but de la prédication du Christ — est une affaire individuelle et non pas collective. Pour que le bien accompli par l’individu lui soit — éventuellement — compté, il doit l’avoir accompli librement[92], ce qui implique que les groupes religieux, familial ou politique auxquels il appartient ne l’aient pas contraint à le faire[93]. Aussi est-ce seulement dans les États où l’Église ne dispose d’aucun moyen de pression sur les consciences — c’est-à-dire dans les États laïques — que l’homme peut faire le bien pour le bien et avoir ainsi une chance d’œuvrer à son salut[94].
L’économie du salut — telle que l’Évangile l’envisage — implique au demeurant que l’État ne soit pas seulement « laïque », mais aussi et peut-être surtout libéral ! Pour que nul ne puisse douter de la sincérité et de la pureté de ses éventuelles bonnes actions, l’individu doit, en effet, être exposé au mal autant qu’au bien, ce qui implique que l’État le laisse libre et ne lui impose pas quelque conception religieuse du bien que ce soit. Ainsi, pas plus que les morales religieuses ne doivent tenter de s’approprier l’État, l’État ne doit tenter de s’approprier ces morales[95].
En conviant l’Être suprême à reconnaître les droits de l’homme, le Préambule de la Déclaration ne Lui demande donc pas de trahir le Dieu de l’Évangile, mais de L’accomplir en Le libérant de Ses « entraves » et de Ses « chaînes »[96].
Aussi décisive soit-elle, cette fondation religieuse des droits de l’homme n’empêche pas le Préambule de 1789 de les enraciner dans trois autres imaginaires parallèles : 1° Imaginaire païen ou athée de la Nature quand le Préambule qualifie les droits de l’homme de « droits naturels »[97] ; 2° Mythologie républicaine de la souveraineté populaire quand le Préambule met en scène les conditions de l’adoption démocratique des droits de l’homme en indiquant que « Les Représentants du Peuple Français » sont « constitués en Assemblée Nationale » et que « l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare solennellement » ; 3° Imaginaire historiciste quand le Préambule inscrit les droits de l’homme dans l’idée de progrès irréversible en postulant un avant et un après la Déclaration : pour la simple raison que celle-ci révèle aux hommes les droits que l’Être suprême ou la nature leur attribue dès l’origine, jamais plus ils n’accepteront de vivre comme à l’époque où ils les ignoraient.
Si, au terme de cette stratégie de « pluri » pour ne pas dire d’« omni » légitimation », on peut qualifier la France de « République évangélique de droit laïque », on peut tout aussi bien la qualifier de « République laïque de droit divin », de « République laïque de droit naturel », de « République laïque de droit démocratique » et de « République laïque de droit historique ».
Selon la seconde interprétation, le Préambule a, si l’on veut, deux fonctions. La première est de rattacher les droits de l’homme à toutes les sources de légitimité possibles et de le faire sans en privilégier une au détriment des autres : ordre transcendant d’un Dieu créateur ; ordre immanent de la nature ; ordre social subjectif de la volonté majoritaire ; ordre social objectif du développement historique. La seconde fonction du Préambule est de fournir aux droits de l’homme une origine capable de leur assurer l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité dont ils ont besoin pour s’imposer et régner. S’ils sont l’œuvre de l’Être suprême ou de la Nature tout autant que de la volonté populaire ou du Progrès, ils sont à l’abri des dangers qu’ils courraient s’ils avaient pour source de légitimité la seule volonté populaire ou la seule évolution historique : ce que Dieu ou la Nature a établi, nul pouvoir humain n’a, en effet, le droit ou le pouvoir de l’abolir, se réclamerait-il de la volonté unanime du peuple ou du « sens de l’histoire ».
Si l’ensemble de cette seconde interprétation est recevable, il s’ensuit deux séries de conséquences. La première a trait à la religion chrétienne elle-même : a) La Déclaration des droits de l’homme formule les conditions de l’État évangélique, ce qui revient à dire que le régime libéral est celui qui permet aux croyants d’œuvrer le plus librement et le plus sincèrement au salut de leur âme tel que le Nouveau Testament tend à le concevoir ; b) La laïcité est fille des Évangiles, et pas seulement du rationalisme ou de la Déclaration des droits de l’homme[98] ; c) Si les religions chrétienne ont été ou sont l’adversaire de la laïcité, c’est par accident et non par vocation ; d) Là où le christianisme — catholique, protestant ou orthodoxe — demeure religion d’État, il va à l’encontre de sa matrice évangélique.
La seconde série de conséquences concerne l’État français lui-même :
a) Plus encore qu’une République laïque tout court, la France est une République chrétienne de droit laïque, ce qui revient à dire une République évangélique ainsi que sa référence à la « Fraternité » l’atteste par ailleurs ;
b) Il n’y a pas de contradiction entre le Préambule de 1789 et l’article 1er de la Constitution de 1958 dans la mesure où la légitimation religieuse des droits de l’homme à laquelle le premier procède n’exclut pas les légitimations non religieuses et ne concède pas de privilège à quelque religion que ce soit ;
c) À défaut de traverser une crise de légalité objective, le droit constitutionnel français traverse une crise de la légalité subjective : s’il n’existe pas de contradiction entre le Préambule de 1789 et l’article 1er de la Constitution de 1958, il en existe, en revanche, entre la manière dont les Français se représentent leur droit de la laïcité et sa réalité objective ou positive : tel que le « bloc de constitutionnalité » l’envisage, le droit de la laïcité n’a nullement pour but d’éliminer la religion de la sphère publique, mais de prévenir l’inféodation de l’État à une religion ou à un appareil religieux particuliers et de permettre à tous les courants spirituels — religieux ou laïques — de participer à la légitimation de l’État et de favoriser, par là même, son enracinement dans la conscience et dans l’affect du plus grand nombre possible de secteurs d’opinion ;
d) En évoquant la religion dans ses discours publics, le président de la République, Nicolas Sarkozy, ne viole pas le « principe de laïcité » — non constitutionnel on l’a vu — dès lors que ses propos n’ont pour effet ni de privilégier une religion par rapport aux autres religions ni de dénigrer l’engagement religieux au profit de l’engagement anti- ou a-religieux et vice versa. Aussi longtemps que le président de la République respecte ces conditions, il ne rompt pas avec l’esprit des révolutionnaires, mais y revient au contraire.
Pour déterminer laquelle de nos deux lectures du bloc de constitutionnalité est la plus pertinente, il conviendrait de déterminer si le concept de laïcité est compatible avec une légitimation religieuse de l’État n’ayant pas pour effet d’inféoder ce dernier à un ordre religieux particulier ou s’il ne prohibe pas par définition quelque mode de légitimation religieux que ce soit — celui aurait-il pour effet de renforcer l’État démocratique — du fait que ce dernier ne devrait reposer que sur la volonté du peuple et elle seule.
Le hasard veut que l’examen de la loi du 15 mars 2004 permette de clarifier ce point, particulièrement confus étant donné le caractère équivoque — on l’a rappelé d’entrée de jeu — du concept de laïcité. Compte tenu de l’espace qui nous est ici imparti, c’est dans le cadre d’un autre article que nous y procéderons. Cet examen, on peut le dire déjà, conduira à des conclusions aussi hétérodoxes que celles auxquelles a déjà abouti notre analyse du Préambule de 1789, finira de donner à raison à l’ancien Grand maître du Grand Orient de France lorsqu’il estimait que « la laïcité […] ne ressemble pas aux caricatures qu’on fait d’elle », que « ce n’est pas parce qu’on en parle fort qu’on y connaît quelque chose » et que « le seul drame de notre pays est peut-être qu’en matière de religion, comme pour ce qui est de la laïcité, il y a plus de croyants que de pratiquants »[99].
[1]. Qu’il me soit permis de remercier ici, du fond du cœur Alberto Bernasconi, grand correcteur sous l’éternel, pour le soin avec lequel il a relu cet article que je lui dédie.
[2]. « Comment la franc-maçonnerie définit-elle la laïcité ? », dans Kerbrat, Pierre, (dir.), 1905-2005 : cent ans de laïcité en France, Centenaire officiel de la loi de 1905, Paris, actes des colloques organisés par l’Acamédie des sciences morales et politiques, Paris, Catalogue Jeriko Éducation, 2007, [disque optique numérique : DVD-ROM] (souligné par nous, J.-P. A.). Alain Bauer est un ancien grand maître du Grand Orient de France.
[3]. « Les débats au début de la IIIe République », La Laïcité : des débats, une histoire, un avenir (1789 – 2005), Sénat — 4 février 2005, www.senat.fr/colloques/actes_laicite.
[4]. Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004.
[5]. « Le 3 juillet 2003, le Président de la République installe une commission d’experts chargés de réfléchir à la question de “la laïcité dans la République”, dont la présidence est confiée à Bernard Stasi. […] Les problèmes liés à la redéfinition ou à la réaffirmation du principe de la laïcité sont évoqués lors des nombreuses auditions tenues par la Commission de réflexion sur la laïcité. Les contributions de la mission de l’Assemblée nationale, des partis politiques, des autorités religieuses, des représentants des grands courants de pensée nourrissent également ce vaste débat. Le 17 décembre 2003, le Président de la République, Jacques Chirac, se prononce en faveur d’une loi interdisant le port de signes religieux “ostensibles” à l’école », « La loi du 15 mars 2004 », www.ladocumentationfrancaise.fr.
[6]. « Nombre de votants : 561. Nombre de suffrages exprimés : 530. Majorité absolue : 266. Pour l’adoption : 494. Contre : 36 », www.assemblee-nationale.fr/12/scrutins/jo0436.asp.
[7]. « … les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs », art. 61, Constitution du 4 octobre 1958, www.conseil-constitutionnel.fr.
[8]. « Laïcité, le mot sent la poudre, il éveille des résonances passionnelles contradictoires », Rivero, Jean, « La notion juridique de laïcité », Dalloz, 1949, Chronique, XXXIII, p. 137-140, cité in Morange, J., « La laïcité selon le droit de la IIIe République à la Ve République », in Onorio, Joël-Benoît d’, dir., La Laïcité au défi de la modernité, Actes du Xe Colloque national des juristes catholiques, Paris, 11-12 novembre 1989, Paris, Tequi, 1990, p. 105. « [La laïcité] doit se souvenir que l’homme, qui doit penser juste, n’est pas un pur esprit : l’erreur, comme la vérité sont charnelles ; les émotions, les sentiments doivent être pris en compte », Nicolet, Claude, op. cit., 1987, p. 17-18.
[9]. « […] la perception de la laïcité appelle des fantasmes de tous ordres, aussi bien de la part de ceux qui imaginent la laïcité en permanence bafouée que de ceux qui voient en elle une menace perpétuelle pour l’expression de leur foi », Rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale, op. cit., p. 11.
[10]. Cette appellation est désormais consacrée : outre qu’elle figure — entre guillemets — dans La Laïcité à l’école. Un principe républicain à réaffirmer, Rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale présidée par Jean-Louis Debré, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 11, elle apparaît — sans guillemet — dans le titre d’un ouvrage de Boussinesq, Jean, La Laïcité française. Mémento juridique, Paris, Cahier de la ligue, 1993 ou sous la plume de Jean Morange, art. cit., p. 104.
[11]. « […] Le concept de laïcité [est] intraduisible dans la plupart des langues », Conseil d’État, Résumé, Un siècle de laïcité, 2004, www.conseil-État.fr.
« Le premier piège ici est la langue : “laïque”, “laïcité” sont intraduisibles hors des langues latines. En anglais “secular” (par opposition à « lay ») apparaît comme une catégorie plus générale. Ainsi s’explique que, sur les quelque cent soixante-dix États internationalement reconnus, seuls neuf États francophones et la Turquie se [sont] proclamés “laïques” », Poulat, Émile, « Laïcité », Ibid., p. 261.
[12]. Les expressions désormais consacrées de « laïcité à la française » ou de « laïcité française » (cf. note 7) sont à cet égard particulièrement spécieuses : elles suggèrent en effet qu’il existerait une laïcité non française, alors qu’une des traits communs à la majorité des autres réglementations des rapports de la religion et de l’État libéral est de justement éviter le terme « laïque » pour des raisons qu’il nous paraît nécessaire de comprendre si l’on veut percer le mystère de la laïcité.
[13]. Si la laïcité ne constitue nullement une « exception française » — d’autres pays l’ont plus ou moins adoptée, chacun à leur manière, et des courants d’idées s’y réfèrent sur plusieurs continents — on peut cependant écrire que, globalement, il s’agit d’une “invention française” », Baubérot, J., « Laïcité », www.ambafrance-us.org/fr/aaz/laicite.asp.
[14]. « […] Un terme français résiste à toute anglicisation, c’est celui de laïcité. Certains en tirent argument pour affirmer que la laïcité est une “exception française” », Baubérot, Jean, « Laïcité », Encyclopaedia Universalis, 202, vol. XIII, p. 257.
[15]. « La laïcité ne nous a pas été donnée comme une révélation. Elle n’est sortie de la tête d’aucun prophète ; elle n’est exprimée dans aucun catéchisme. Aucun texte sacré n’en contient les secrets, elle n’en a pas. Elle se cherche, s’exprime, se discute, s’exerce et, s’il faut, se corrige et se repent », Nicolet, Claude, op. cit., 1987, p. 17 (souligné par nous, J.-P. A.).
[16]. La Cour européenne des droits de l’homme traduit « laïcité » par l’homologue anglais de « secularisation » : « En concluant que l’article 9 n’avait pas été violé, la Chambre a jugé que la notion de laïcité [“secularism”] paraissait compatible avec les valeurs fondant la Convention” et que le respect de ce principe peut être considéré comme nécessaire à la protection du système démocratique en Turquie » [traduit par nous, JPA], Short Survey of Cases Examined by the Court, « Leyla Sahin vs./ Turkey, 29 juin 2004 », www.echr.coe.int/.
[17]. « […] dans ces conditions sont respectées les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles “la France est une République laïque” qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers », Décision n° 505 DC, 19 novembre 2004, Compatibilité du Traité établissant une Constitution pour l’Europe avec la Constitution français, 18e considérant, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel 2004, Paris, Dalloz, 2005, p. 176.
[18]. « L’idée, le principe de vie qui est dans les sociétés modernes, qui se manifeste dans toutes leurs institutions, c’est l’acte de foi dans l’efficacité morale et sociale de la raison, dans la valeur de la personne humaine raisonnable et éducable. C’est ce principe qui se confond avec la laïcité elle-même. […] Voilà donc le mouvement de laïcité, de raison, de pensée autonome qui pénètre toutes les institutions du monde moderne. […] Depuis que le droit à la raison a été promulgué », Jaurès, Jean, Laïcité et République socialiste, 1905-2005 : Centenaire de la loi sur la séparation des Églises et de l’État, Recueil de textes choisis par Gilles Candar, Paris, Le Cherche Midi, 2005, p. 175 et 178 (souligné par nous, J.-P. A.).
[19]. Même si « les notions de « Säkularisation » ou de « secularism » recouvrent largement la notion française de laïcité […] le mot laïcité n’a pas de traduction stricte par exemple en allemand ou en anglais », Boudon, Raymond, « Laïcité et modernité : deux visions françaises », p. 4, dans Kerbrat, Pierre, (dir.), DVD-ROM cit.
[20]. « Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État », www.legifrance.gouv.fr.
[21]. « La Séparation des Églises et de l’État est établie par la loi du 9 décembre 1905 », Gros, Dominique, « La République laïque », Mathieu, Bertrand & Verpeaux, Michel (dir.), La République en droit français, Actes du colloque de Dijon, 10 et 11 décembre 1992, Paris, Economica, 1996, p. 114.
[22]. « … les règles de séparation connaissent certaines limites », Rivero, Jean & Moutouh, Hughes, op. cit, t. 2, p. 160.
[23]. « Si l’on s’en tient au titre I, la loi [de 1905] répond pleinement à l’objectif. Cependant on pourrait remarquer que l’article 2 constitue déjà une première entorse à la définition de la laïcité donnée plus haut. Il s’agit d’assurer la liberté du culte, plus précisément à ceux qui ne disposent pas de la liberté de circulation (prison, hôpitaux, casernes, internats). C’est un exemple de ce qu’on appelle la neutralité bienveillante de la laïcité. […] L’Église catholique s’en sort plutôt bien : elle n’a plus à se préoccuper des bâtiments qui sont de la responsabilité de l’État. Par ailleurs, elle retrouve une liberté totale pour la nomination des évêques », Courcelle, Bruno, « Atelier “Loi de 1905” : exception française ou modèle européen ? », Comité Laïcité République, La Laïcité, une idée européenne, Colloque international Bordeaux-Artigues, 29 et 30 novembre 2003, Éditions maçonniques de France, 2005, p. 13 et 14.
[24]. L’« entorse » au titre de la loi est d’autant plus patente que l’article 2 de la loi édicte — de manière tout à fait fictive lui aussi — que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte… », ce qu’elle fait pourtant avec le financement de l’entretien des lieux de cultes et du service public religieux « minimum » à destination des « empêchés de la foi ».
[25]. « Cette absence de toute reconnaissance d’un culte […] veut dire que le fait religieux — et ceci contrairement aux solutions concordataires — cesse d’être un fait public. D’où le corollaire inévitable que la République ne saurait évidemment aider financièrement aucun culte », Robert, Jacques & Duffar, Jean, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Paris, Montchrestien, 1999, p. 594.
[26]. « La séparation, dès lors, était la seule issue convenable. C’est elle que consacre la loi du 9 décembre 1905, à la suite d’une série d’incidents au cours desquels les deux pouvoirs firent également preuve de maladresses, et qui achevèrent de rendre impossible le maintien de leurs rapports », Rivero, Jean & Moutouh, Hughes, op. cit., t. 2, p. 150 (souligné par nous, JPA).
[27]. « Cette absence de toute reconnaissance d’un culte […] veut dire que le fait religieux — et ceci contrairement aux solutions concordataires — cesse d’être un fait public », Robert, Jacques & Duffar, Jean, op. cit., p. 594 (souligné par nous, J.-P. A.).
[28]. « En France, nous sommes tous des laïques, sans pour autant nous entendre sur ce qu’est, doit être et peut être la laïcité », Poulat, Émile, Liberté, laïcité, la guerre des deux Frances et le principe de la modernité, Paris, Cujas, 1987, p. 191.
[29]. « Depuis un siècle, cette notion est toujours en cours de clarification », Gauchet, Marcel, « Y a-t-il une crise de la laïcité », dans Évelyne Martini (dir.), 1905-2005 : un siècle de laïcité en France, Actes du colloque du 20 janvier 2005 organisé par l’Académie de Créteil, Créteil, CRDP, 2005, p. 140.
[30]. Voir note 26.
[31]. « Toutes les personnes auditionnées par la mission ont affirmé leur attachement à la laïcité, mais chacune selon sa propre définition, celle-ci oscillant de la neutralité la plus stricte à l’expression du plus large pluralisme », La Laïcité à l’école. Un principe républicain à réaffirmer, Rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale présidée par Jean-Louis Debré, op. cit., p. 11.
[32]. Derosier, Jean-Philippe, « La Cour constitutionnelle allemande et le port du voile », Revue française de droit constitutionnel [RFDC], n° 58, 2004, p. 440, va encore plus loin en écrivant que le concept de laïcité est « juridiquement trop équivoque ». Pour un avis contraire, peu partagé au demeurant, voir Rivero, Jean & Moutouh, Hughes, op. cit., p. 156 : pour ces auteurs, « la notion de laïcité […] ne prête pas à équivoque […] sur le terrain juridique » : si elle « a fait l’objet de maintes controverses », ce ne serait, écrivent-ils, que « sur le terrain proprement philosophique ».
[33]. Art. 1er de la Constitution de 1958.
[34]. Outre l’ancien département d’Algérie, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guyane, Mayotte qui échappent eux aussi au droit commun de la laïcité.
[35]. « “Les grandes lois, les grandes et justes lois qui ont fait l’école laïque, supprimé l’enseignement congréganiste et séparé l’Église de l’État sont le critérium auquel se reconnaissent les républicains”. Cette phrase de Louis Barthou [une des grandes figures politiques de la IIIe République, J.-P. A.], prononcée près de quarante ans après la proclamation de la IIIe République, suggère que la laïcité n’est pas l’attribut de la République mais son essence — une “qualité substantielle”, aurait dit Thomas d’Aquin —, si bien que l’on ne sait comment partager : la République est-elle laïque ou bien est la laïcité qui est républicaine ? », Gros, Dominique, art. cit., p. 103.
[36]. « L’enseignement moral laïque se distingue donc de l’enseignement religieux sans le contredire. […] Cet exposé officiel de la manière dont le gouvernement de la République entend pratiquer la laïcité de l’école est la meilleure réponse à ceux qui affectent de conclure des dispositions de la loi de 1882 que l’école est désormais une école d’athéisme. Ils disaient […] que la loi nouvelle chassait Dieu de l’école ; à les entendre il devait être défendu de prononcer le nom de Dieu ou de lire un morceau quelconque de prose ou de poésie contenant un seul mot entaché de religiosité. Que quelques esprits violents et fanatiques à rebours aient conçu de tels projets et se soient plu à en faire parade, c’est là un des faits isolés et absolument sans portée qui peuvent se produire comme un témoignage de l’effervescence des passions dans les premiers moments d’une réforme quelconque, mais qui ne peut ni en dénaturer le principe, ni en compromettre l’application, tant le bon sens public en a vite fait justice. […] Amis et adversaires de la loi peuvent toucher déjà du doigt l’exactitude des affirmations du gouvernement lorsqu’on lui reproche de “supprimer l’enseignement religieux”, il répond : “Il n’y a rien de pareil dans cette loi. […] On y trouve tout simplement le règlement d’une question de compétence, effectué pour le bien de tous […] on y trouve la séparation de deux enseignements qu’on ne peut sans les plus graves inconvénients laisser dans les mêmes mains. Est-ce que du jour où cette loi sera votée il ne sera plus donné d’enseignement religieux aux enfants des écoles ? On le croirait à vous entendre. Mais non. Il sera donné le dimanche, le jeudi les jours de congé, et même les jours de classe en dehors des heures de classe. Il sera donné par qui ? Par le ministre du Culte, il pourra l’être par l’instituteur lui-même s’il s’y prête librement en dehors de la classe », Buisson, Ferdinand, « Laïcité », Dictionnaire de pédagogie, 1ère éd., Paris, Hachette 1881, cité dans Nicolet, Claude, op. cit., 1987, p. 11. Ferdinand Buisson — un des fondateurs de la Ligue des droits de l’homme — a reçu le prix Nobel de la paix en 1927.
[37]. « Notez [que l’instituteur] pourra exposer ces faits, résumer par exemple l’histoire des livres sacrés de la Judée sans blesser en rien les croyances mêmes religieuses. Quels que soient les résultats de la critique historique, c’est un fait aussi, et nullement négligeable, que les livres hébreux ont exercé une profonde influence sur les esprits et sur les consciences, que le messianisme hébraïque, appel douloureux et véhément à la justice de l’avenir, s’est élargi dans la pensée du Christ, en un messianisme universel, à la fois humain et cosmique qui affirme que le monde humain et tout l’univers même seront renouvelés pour se conformer à la justice et à l’amour. Et ce prodigieux élan vers l’avenir, transmis à la science moderne et à la démocratie socialiste, lui a communiqué une sorte de frisson religieux. Quand l’instituteur exposera, à propos de l’histoire de la Judée et de ses livres religieux, les résultats de la critique, de l’exégèse, il aura présents à l’esprit tous ces faits ; et sans rien atténuer de la vérité scientifique, il saura, par scrupule de vérité totale et humaine, éviter toute ironie offensante, toute forme de négation brutale et définitive », Jean Jaurès, Revue de l’Enseignement primaire et primaire supérieur, n° 2, 10, 1908 dans Gauthier G. & Nicolet, C., op. cit., 1987, p. 285
[38]. « L’exercice fait ressortir la complexité de l’édifice, bâti sur un socle solide, l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la loi de 1905, la consécration constitutionnelle du principe de laïcité en 1946 puis en 1958 », Conseil d’État, Un siècle de laïcité, op. cit. (souligné par nous, J.-P. A).
[39]. Rivero, Jean & Moutouh, Hughes, op. cit., t. 2, p. 156, se démarquent du reste de la doctrine en écrivant que « …l’article 1er de la Constitution de 1958 […] fait [de la laïcité] un des caractères de base » tout au plus « de la République » comme en limitant le rôle aussi bien que le champ d’application de ce « caractère de base » : pour ces deux auteurs, la « laïcité de l’État » est la « la base idéologique du [seul] régime de la liberté religieuse » et non de tous les régimes juridiques de la République.
[40]. « […] un des principes fondateurs de la République : la laïcité », dans La Laïcité à l’école. Un principe républicain à réaffirmer, Rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale, présidée par Jean-Louis Debré, op. cit., p. 11.
[41]. L’art. 1er de la Constitution se borne en effet à écrire que « La France est une République […] laïque ».
[42]. « L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État », Préambule de la Constitution de 1946.
[43]. Si le terme apparaît trois fois dans la loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’Enseignement primaire qui codifie la législation antérieure, c’est seulement pour qualifier le personnel enseignant : tandis que l’art. 9 mentionne par deux fois que « les classes de jeunes filles, dans les internats comme les « externats primaires publics et privés » peuvent être tenues soit par des « institutrices laïques, soit par des associations religieuses cloîtrées ou non cloîtrées », l’art. 17 prévoit lui-même que, dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque ».
[44]. « Les lois laïques de la IIIe République », Gros, Dominique, art. cit., p. 110.
[45]. Comme nous, Claude Franck n’inclut pas la laïcité dans sa liste des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » déjà dégagés par le juge constitutionnel (Franck, Claude Droit constitutionnel, Paris, P.U.F., p. 62-90). Genevois, Bruno, La Jurisprudence du Conseil constitutionnel. Principes directeurs, Paris, Les Éditions STH, 1988, p. 191, estime que les « principes posés par la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État […] peuvent être rangés au nom des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » et non doivent être rangés. À supposer qu’ils le puissent, rien n’oblige le Conseil constitutionnel à se servir du terme de « laïcité » pour les désigner, puisque le mot « laïcité » est, on l’a dit, absent de la fameuse loi de 1905. « Ce n’est pas l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (au sens que le Conseil constitutionnel a donné à ces termes […] ; ce n’est pas un principe général du droit. […] C’est la raison pour laquelle nous parlerons ensuite de “règle de laïcité” plutôt que de “principe” afin d’éviter toute confusion », Gros, Dominique, art. cit., p. 106.
[46]. « La notion de “République sociale » fut invoquée en une circonstance devant le Conseil [constitutionnel] pour soutenir qu’elle faisait obstacle aux nationalisations décidées par le Parlement en 1981, en ce qu’elles auraient débouché sur une “République socialiste”. L’argument était fort peu convainquant car la notion de “République sociale” a pour seul objet de faire apparaître que la République française est soucieuse du sort des plus démunis. Aussi bien n’est-il même pas mentionné dans la décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 », Genevois, Bruno, La Jurisprudence du Conseil constitutionnel. Principes directeurs, Paris, Les Éditions STH, 1988, p. 191-192.
[47]. Les termes entre guillemets sont deux du Conseil constitutionnel « Décision n° 505 DC, 19 novembre 2004, Compatibilité du Traité établissant une Constitution pour l’Europe avec la Constitution français », 18e considérant, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel 2004, Paris, Dalloz, p. 176. Nous montrerons comment la Cour de Strasbourg limite les applications du principe de laïcité lorsque nous nous pencherons sur sa jurisprudence « Affaire Leyla Sahin c./ Turquie, 29 juin 2004 », où l’appartenance du principe de laïcité à la tradition constitutionnelle turque est tout particulièrement reconnue.
[48]. Juste après avoir rappelé que la Cour européenne reconnaissait l’existence du « principe de laïcité » dans « plusieurs traditions constitutionnelles nationales » (Cf. note précédente), le Conseil constitutionnel précise « que, dans ces conditions, sont respectées les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles “la France est une République laïque” » et non que dans ces conditions, est satisfait le principe de laïcité reconnu par la tradition constitutionnelle française, Ibidem.
[49]. À un mois de distance, une même juridiction a considéré que le maintien d’un crucifix dans une salle du conseil municipal méconnaissait la liberté de conscience des citoyens ainsi que la neutralité du service public (CAA, Nantes, 4 février 1999, Assoc. Civique Joué Langueurs, R. 498), mais qu’un logotype comportant une croix apposée sur certains édifices scolaires du département de la Vendée n’était pas contraire à la laïcité (CAA, Nantes, 11 mars 1999, Assoc. Une Vendée pour tous les Vendéens, RFDA, 2000, 1484, concl. Jacquier).
[50]. « Certains […] des territoires français […] non couverts par la loi du 9 décembre 1905, tout en étant soumis au principe constitutionnel de laïcité […] ont même conservé un service public du culte sous la forme d’agents publics exerçant les fonctions de ministre du culte. Ces services publics, guyanais ou alsacien-mosellan sont cependant discriminants. Ainsi le service public du culte en Alsace-Moselle ne concerne que quatre cultes : catholique, réformé, luthérien et juif. Sont exclus du service public les autres cultes, même s’ils ont des fidèles dans ces trois départements, le culte musulman, les cultes orthodoxes ou le culte bouddhiste par exemple. Et tant les autres Églises protestantes que les communautés juives non consistoriales, c’est-à-dire se rattachant au courant orthodoxe ou libéral du judaïsme sont exclus de tout service public », Schwartz, Rémy, Un siècle de laïcité, Paris, Berger-Levraut, 2007, p. 153-154 (souligné par nous, JPA).
En plus de financer l’entretien des églises, de rémunérer les ministres du culte de quatre départements mais aussi de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte, d’organiser un service du culte dans les aumôneries reconnues (notamment militaires), le public finance des « activités qui, bien qu’organisées dans un cadre confessionnel, présentent par elles-mêmes un caractère d’intérêt général », telle que les « œuvres sociales créées à l’initiative des Églises : hospices, hôpitaux, dispensaires, etc. » (Rivero, Jean & Moutouh, Hughes, op. cit., t. 2, p. 161), subventionne indirectement les cultes eux-mêmes en mettant à disposition des religieux des logements de fonction à des conditions fort avantageuses, règle l’indemnité de gardiennage d’églises affectées au culte là où il est assuré, soumet les sacrificateurs israélites et musulmans à des règles d’abattage dérogatoire au droit commun. Pour une liste complète de ces aides à la religion pour le moins paradoxales au regard du principe de laïcité : voir Poulat, Émile, Notre laïcité publique. « La France est une République laïque », Paris, Berg International Éditeurs, 2003, p. 133-135.
[51]. Pour laïque qu’elle soit, la République dispose d’un « droit de regard » sur la « nomination des évêques » depuis « le rétablissement des rapports diplomatiques [avec le Vatican] » (Rivero, Jean & Moutouh, Hughes, op. cit, t.2, p. 161-162).
[52]. Au terme de la jurisprudence du Conseil d’État, l’État dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour agréer les organismes religieux chargés d’habiliter les sacrificateurs l’amenant à exercer une police de l’orthodoxie religieuse et pas seulement de l’ordre public : « … le Conseil d’État a confirmé le refus du ministre de l’Intérieur de proposer à l’agrément une association juive non consistoriale (CE, 25 nov. 1994, Association culturelle israélite Cha’are Shalom Ve-Tsedek, n° 110002, Rec., p. 509). Pour cela, la Haute assemblée s’est fondée simplement sur l’interprétation de la notion d’organisme religieux. Elle a relevé que l’association requérante “qui n’organise pas de célébration et de dispense aucun enseignement” ne présente pas “en raison de ses activités le caractère d’un organisme religieux” au sens de cette réglementation. […] Mais dans les faits, le Conseil d’État a été fort sévère. Le commissaire du Gouvernement […] avait relevé que l’association avait une école talmudique, deux centres d’étude de la Torah et une bibliothèque talmudique. […] Cette stricte lecture du texte, et plus précisément cette définition fort sévère de la notion d’“organisme religieux” a donc conduit le juge à exclure des associations juives orthodoxes de la possibilité de pratiquer des abattages rituels, réservant dans les faits au seul Consistoire l’agrément en vue d’habiliter les sacrificateurs », Schwartz, R., op. cit., p. 33.
[53]. Conseil d’État, Un siècle de laïcité, op. cit.
[54]. « Cette notion [de laïcité], qui structure l’état d’esprit des Français, fait aujourd’hui l’objet d’un consensus », Mathieu, Bertrand & Vermeaux, Michel, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 9.
[55]. Sur l’utilisation des traits identitaires, notamment symboliques, dans la gestion des crises de sentiment national, voir Airut, Jean-Pierre, « Drapeau français et sentiment national : le chant du cygne ? », Crises, Être français ?, Paris, P.U.F., n° 2, 1994, p. 131-154 ; sur l’utilisation des traits identitaires symboliques dans la construction de la personnalité civique des individus, voir du même auteur : « L’Usage des couleurs nationales dans la rue danoise : facteur de sociabilité inter-personnelle, politique ou protestante ? », in La Rue, lieu de sociabilité, Rouen, Presses universitaires, 1997, p. 243-252.
[56]. « Les Français ont invoqué avec la plus extrême vigueur leur attachement au principe de laïcité, la valeur constitutionnelle de celui-ci pour justifier leur refus de voir une référence à l’héritage religieux inscrit au fronton de la Charte. Ils ont souligné que les pères fondateurs de l’Europe, bien que d’obédience démocrate-chrétienne dans leur grande majorité, n’avaient jamais conçu l’Europe communautaire autrement que comme une institution laïque », Dutheil de la Rochère, Jacqueline, « La France et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/FD001386.pdf.
[57]. Le titre de la loi du 15 mars 2004 sur le port des insignes religieux ostensibles indique qu’elle s’adopte au nom « du principe de laïcité ». Voir note n° 4.
[58]. L’étendue du bloc de constitutionnalité varie en fonction des interprétations du Conseil constitutionnel si ce n’est du Conseil d’État qui s’y rapporte et l’interprète en l’absence de jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le sujet concerné : voir Conseil d’État (Ass.), 3 juil. 1996, Moussa Koné. Sur les variations du bloc constitutionnel, lire : Favoreu, Louis « Bloc de constitutionnalité », dans Duhamel, Olivier et Mény, Yves, Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 87-89. Sur les contours actuels du bloc constitutionnel, on peut se reporter à Pactet, Pierre, Mélin-Soucramanien, Ferdinand, Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2006, p. 509-512.
[59]. Et il la comprend plutôt trois fois qu’une, puisque l’inclusion de la Déclaration dans le « bloc constitutionnel » peut se prévaloir de trois sources constitutionnelles : a) Le Préambule de la Constitution de 1958, où « le peuple français “proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale” tels que la Déclaration de 1789 les “définit” ; b) le Préambule de la Constitution de 1946 auquel celui de la Constitution de 1958 se « rattache » et où le peuple français « réaffirme solennellement les droits et liberté de l’homme et du citoyens consacrés par la Déclaration des droits de 1789 » ; c) la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que le Préambule de 1958 — où apparaissent directement et indirectement ces renvois à la Déclaration de 1789 — faisait partie intégrante de la Constitution et avait ainsi la même valeur juridique qu’elle (Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971). Étant entendu que, depuis 1973, la Haute Assemblée se réfère directement à la Déclaration de 1789 (Cf. Décision 73-51 DC, “Taxation d’office”, à propos du principe d’égalité devant la loi « contenu dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 »). Sur ce point, on peut se reporter à Mathieu, Bertrand & Vermeaux, Michel, op. cit., p. 264.
[60]. Le terme « préambule » nous semble plus approprié que l’expression « proclamation liminaire » employée par Mathieu, Bertrand & Vermeaux, Michel, dans op. cit., p. 266 : « proclamation liminaire » suggère que l’on aurait une « proclamation » à côté ou en plus de la Déclaration proprement dite et que ces deux textes, quoique complémentaires, seraient autonomes.
On rappellera que, selon Le Grand Robert de la langue française, Paris, 2001, vol. V, p. 1084, le terme « préambule » désigne « ce dont on fait précéder un texte de loi pour en exposer les motifs et les buts ». Au cours des débats précédant l’adoption de la Déclaration, le paragraphe introduction est parfois désigné par le terme de préambule : « Après avoir relu les divers préambules proposés, on s’arrête à celui du projet rédigé par le comité des cinq […] », Séance du jeudi 20 août, dans Réimpression de l’Ancien Moniteur, t. I, p. 366.
[61]. La Déclaration « … ne fait référence à aucune religion ni aucun régime politique particulier […] », www.herodote.net/histoire/evenement.php ?jour=17890826.
[62]. Ibid.
[63]. Aucune allusion à la présence de l’Être suprême dans, par exemple, ce résumé historique publié en marge des actes d’un colloque organisé par l’Académie des sciences morales et politiques sous le titre 1905-2005 : cent ans de laïcité en France : « Il n’y a pas trace de la “laïcité” ni même de la “République” dans le vocabulaire des révolutionnaires de 1789. Et pourtant, ils ont posé les principes de notre République laïque. […] Le 26 août, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame en son article 10 que “nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses”. On pensait alors surtout aux libertés, aux athées et aux adversaires de la religion, mais la Déclaration vaut aussi pour la défense de la liberté religieuse », auteur anonyme, « La Révolution française et les religions », dans Kerbrat, Pierre, (dir.), op. cit.
[64]. Nous visons, ici, l’article de Fauré, Christine, « La Déclaration des droits de 1789 : le sacré et l’individuel dans le sacré de l’acte », dans La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ses origines. Sa pérennité, Paris, La Documentation française, 1990 et celui de Barret-Kriegel, Blandine, « Religion et droit naturel dans la Déclaration des droits de l’homme », dans Kerbrat, Pierre, (dir.), op. cit.
[65]. « Les textes de 1946 ou la Constitution de 1958 l’inscrivent dans le bloc de constitutionnalité en même temps que l’être Suprême toujours inscrit dans la Déclaration des droits de 1789, une des véritables productions de la Franc-Maçonnerie politique, comme la Constitution de la IIe République en 1848 », Bauer, Alain, art. cit.
« Ce principe a été énoncé essentiellement en deux temps : d’une part, sous la Révolution française, notamment dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (qui fait cependant référence à un Être Suprême, voir supra) », wikipedia.fr.
[66]. Aucun, par exemple, des articles de synthèse suivants ne mentionne sa présence : Morange, Jean, arc. cit. ; « Laïcité », dans Alland, Denis, Rials, Stéphane, dir., Dictionnaire de culture juridique, Paris, PUF-Lamy, 2003, 913-915 ; Badie, Bertrand, « Laïcité », dans Duhamel, Olivier & Mény, Yves, Dictionnaire constitutionnel, op. cit., p. 561-562 ; Guillaumont, Olivier, « Droit constitutionnel et droit administratif, Le Conseil d’État et le principe constitutionnel de laïcité à propos de l’arrêt du 16 mars 2005, ministre de l’Outre-mer c/gouvernement de la Polynésie », Revue française de droit constitutionnel, n° 63, 2005, p. 631-638. Dans leur manuel de droit constitutionnel, Pactet, Pierre et Ferdinand, op. cit., p. 511-512, font l’impasse sur la référence à l’Être suprême dans le paragraphe où ils évoquent les « divergences et contrariétés éventuelles entre normes constitutionnelles » entre lesquelles le Conseil constitutionnel doit parfois trancher. Pour ces auteurs, ce type de divergences existe surtout entre « la Déclaration de 1789 et le Préambule de 1946, que sépare plus d’un siècle et demi et dont les sources d’inspiration sont fort différentes, individualistes pour l’une, sociales pour l’autre », tout en estimant que « à la vérité, il y a peu de discordances » et que s’il y a bien « quelques contradictions » elles concernent « notamment le droit de propriété », p. 512.
[67]. Mathieu, Bertrand et Vermeaux, Michel, op. cit., p. 266. Voir aussi Vedel Georges, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, rééd. présentée par G. Carcassone et O. Duhamel, Paris, Dalloz, 2002, p. 180 : « Tout ceci [les facteurs à l’origine de la Déclaration] peut se ramener à un rationalisme profond qui d’ailleurs se marie au déisme, la Déclaration étant faite “en présence et sous les auspices de l’Être suprême” ». Nous citerons le passage où MM. Rivero, Jean & Moutouh, Hughes signalent la référence au moment où nous aurons à l’analyser, Libertés publiques, Paris, PUF, 2003, t. 1, p. 40 et 41.
[68]. « Avis rendu le 27 novembre 1989 à la demande du ministre de l’Éducation nationale », art. cit.
[69]. Rapport public 2004. Un siècle de laïcité, Paris, 2005, La Documentation française. Le résumé de ce rapport est consultable sur le site conseil-État/fr.
[70]. Schwartz, Rémy, op. cit.
[71]. « La Déclaration française, contrairement aux déclarations américaines […] ne procède pas d’une inspiration religieuse, et la vague référence à “l’Être suprême” qu’on y rencontre fait figure de clause de style plus que d’acte de foi. À plus forte raison n’y peut-on déceler une influence chrétienne directe », Rivero, Jean & Moutouh, Hughes, op. cit., t. 1, p. 40 et 41.
[72]. « M. l’abbé Grégoire : “L’homme n’a pas été jeté au hasard sur le coin de terre qu’il occupe. S’il a des droits, il faut parler de Celui dont il les tient ; s’il a des devoirs, il faut lui rappeler Celui qui les lui prescrit. Quel nom plus auguste, plus grand peut-on placer à la tête de la déclaration que celui de la Divinité, que de nom qui retentit dans toute la nature, dans les cœurs, qu’on trouve écrit sur la terre et que nos yeux fixent encore dans les cieux !” », Séance du mardi 18 août, dans Réimpression de l’Ancien Moniteur, t. I, p. 348
« Abbé Bonnefoi : “Je désire seulement qu’on y rajoute [au projet de déclaration de M. de Lafayette] : Que l’homme a un droit sacré à sa conservation et à sa tranquillité et que l’Être suprême a fait les hommes libres et égaux en droits” », Réimpression de l’Ancien Moniteur, t. I, p. 352.
[73]. « Je l’inviterai surtout à y joindre un article que j’ai trouvé dans celle de [propositions de déclaration] de M. Pison du Galand, sur le rapport de l’homme avec l’Être suprême ; qu’en parlant de la nature, on parle de son auteur et qu’on ne croie pas pouvoir oublier, en formant un gouvernement, cette première base de tous les devoirs, ce premier lien des sociétés, ce frein le plus puissant des méchants et cette unique consolation des malheureux », Lally-Tolendal, Séance du 19 août, Assemblée nationale, Ibid., p. 354.
[74]. « MM. Mongins et Pellerin, ramenant cette discussion aux faits historiques, disent que les législateurs de Rome, de la Russie et de l’Amérique ont invoqué l’Être suprême dans les premières pages de leur code », Séance du 20 août 1789, Ibid., p. 366 (souligné par nous, J.-P. A.).
« M. Le comte de Virieu, Séance du 20 août 1789, Ibid., p. 365 : […] Ce qui me touche davantage encore, c’est l’invocation à l’Être suprême [amendement de M. de la Borde] ; l’on n’y dit pas que nous tenons nos droits de la nature ; c’est un pacte que la nation fait sous les auspices de la Divinité. Eh qu’est-ce que la nature ? quelle idée présente-t-elle ? C’est un mot vide de sens, qui nous dérobe l’image du Créateur pour ne considérer que la matière. Voici le préambule que je proposerais : “[…] Voulant enfin consacrer, au nom du peuple français et en présence de l’Être suprême, les droits imprescriptibles de toute citoyen […]” ».
[75]. « Projet de déclaration discuté dans le 6e bureau de l’Assemblée nationale et adopté par l’Assemblée nationale comme point de réunion des idées avec liberté d’y retrancher ou ajouter, etc. “Les représentants du peuple français […] voulant consacrer en présence du suprême législateur les droits de l’homme et du citoyen” », Séance du 19 août, Ibid., p. 362 (souligné par nous, J.-P. A). « M. L’évêque de Langres propose de substituer l’article suivant aux deux premiers articles : “L’auteur de la nature a placé dans tous les hommes le besoin et le désir du bonheur et les facultés d’y parvenir […]” », Ibid., p. 366.
[76]. « M. de Volney propose une tout autre forme de préambule ; celle de faire part des circonstances qui ont rendu nécessaire une déclaration des droits. […] Plusieurs membres insistent pour qu’on mette dans le préambule ces mots : en présence de l’Être suprême ; d’autres observent que la présence de l’Être suprême étant partout, il est inutile de l’énoncer. M. l’évêque de Nîmes soutient avec force la première opinion. C’est une idée triviale, a-t-on dit, que l’homme tient son existence de Dieu. Plût à Dieu qu’elle le fût encore davantage, et qu’elle ne fût jamais contestée ! Mais quand on fait des lois, il est beau de les placer sous l’égide de la Divinité », Séance du 20 août 1789, Ibid., p. 366.
[77]. Ibid., p. 75.
[78]. Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971.
[79]. « […] Le Conseil d’État, pourtant hésitant sur la valeur du Préambule [de 1946]… n’avait pas retenu cette objection : la décision du 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris (Act. Jur. D.A., 1956, p. 395) affirmait nettement : “les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et réaffirmés par la Constitution sont applicables sur le territoire français aux ressortissants de l’Union française” », Rivéro, Jean, « Les “principes fondamentaux reconnus par les lois de la République” : une nouvelle catégorie constitutionnelle ? », dans du même auteur Le Conseil constitutionnel et les libertés, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1987, p. 155.
[80]. Sur la portée de la Déclaration de 1789, lire : Philip, L. : « La valeur juridique de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Mélanges Kayser, 1979, t. II, p. 317 et s ; Luchaire, F., « Le Conseil constitutionnel et la protection des droits et libertés du citoyen », Mélanges Waline, p. 546 s. On rappellera que cet auteur, dans le souci de concilier les droits de l’homme individualistes de la Déclaration de 1789 avec les droits sociaux du Préambule de la Constitution de 1946, s’efforce de diminuer la valeur juridique de certains des dix-sept articles reconnus par la première.
[81]. Pactet Pierre, Institutions politiques. Droit constitutionnel, Armand Colin, 2003, p. 567 : « Ces deux textes [Déclaration de 1789 et Préambule de 1946] sont directement visés par le Préambule de 1958 mais avec une réserve résultant de la référence expresse “aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale”. En d’autres termes, n’a valeur constitutionnelle dans ces deux textes que ce qui concerne ces droits et ces principes ».
[82]. « D’abord la présence de Dieu [dans la Déclaration de 1789] : une telle affirmation peut sembler invraisemblable mais il est incontestable que le préambule déclare explicitement que la Déclaration des droits est rédigée “en présence et sous les auspices de l’Être suprême”. […] par cette invocation de l’Être suprême — puisque la Déclaration de 1789 a été rattachée au préambule de la Constitution de 1946 et de 1958 — Dieu figure dans notre texte constitutionnel », Barret-Kriegel, Blandine, « Religion et droit naturel dans la Déclaration des droits de l’homme », p. 2, dans Kerbrat, Pierre, (dir.), op. cit.
[83]. On rappellera que wikipedia.fr fait état de la référence à « un Être suprême ».
[84]. Le 3 juillet, après 48 séances de discussions, 341 députés votèrent pour et 233 contre. Le 6 décembre, au Sénat, 181 voix s’exprimèrent pour et 102 contre.
[85]. Airut, Jean-Pierre, « Sur le concept oublié et oublieux de légitimité », Tzitzis, Stamatios, La Mémoire entre silence et oubli, Presses Universitaires de Laval, 2006.
[86]. « Cette déclaration a en quelque sorte acquis un caractère sacré et religieux », Thouret, 8 août 1791, cité dans Fauré, Christine, art. cit. p. 72.
[87]. Pour un exemple de formation d’une conspiration du silence, voir Airut, Jean-Pierre, « Le moralisme “bovaryen” à la conquête de l’Ouest : sur Thelma & Louise et un cas de faux témoignage collectif », Crises, La société malade du moralisme, Paris, PUF, n° 1, 1994, p. 141-156.
[88]. « Dans son Essai philosophique sur le gouvernement civil, [Ramsay, Andrew Mickael, père fondateur de la franc-maçonnerie en France], paru à Londres en 1721, figurent de nombreuses références à l’Être suprême », Fauré, Christine, art. cit., p. 74.
[89]. « La séparation s’est accentuée avec la religion chrétienne, elle repose désormais sur deux paroles de l’Évangile : “mon royaume n’est pas de ce monde”, “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu” […] », Hauriou, M., Précis de droit constitutionnel, Sirey, 1929, réimpression CNRS, 1965, p. 109, cité dans Morange, Jean, art. cit. p. 104.
[90]. « Cette sédimentation historique de l’Être suprême se retrouvait dans les motivations des Constituants : par exemple, dans un manuscrit, l’abbé Bonnefoy associe l’Être suprême à une critique des religieux : “La corruption de la religion est venue de ce que le prêtre ignorant ou fanatique, s’est écarté du vrai principe qui doit servir de base à toutes les religions” », Fauré, Christine, art. cit., p. 74.
[91]. Tout en reconnaissant que « […] le christianisme a tout ensemble enchaîné et déchaîné l’homme, le liant à des formules d’absolutisme, suscitant en lui l’audace de rêves prodigieux, et déconcertant la logique abstraite par sa complication de martyrs et de bourreaux, de servitudes intellectuelles et d’élans passionnés, d’atrocités inquisitoriales et de tendresse mystique, la douce lueur de l’étoile du matin et la flamme sinistre du bûcher », Jaurès estime que ce corps de croyances « porte en lui » un « principe d’autorité et de servitude » tel qu’« il n’est pas possible à la société nouvelle, fondée sur le droit absolu de la personne » d’autoriser des membre du clergé « dans ses institutions d’enseignement ». Pour justifier cet interdit professionnel, il fait valoir qu’une religion se fondant sur la « révélation » de la volonté de Dieu ne saurait souffrir que sa « parole de salut […] soit livrée à la fantaisie de tous les commentaires, à l’incohérence de toutes les interprétations et que le souffle même de Dieu se perde dans le désordre des vents », ce qui la conduit — de manière « inflexible et absolue » — à poser le dogme de l’« infaillibilité » de son autorité centrale.
Outre que Jean Jaurès oublie qu’on ne trouve ni ce dogme ni cette autorité centrale dans les autres « religions révélées » (protestantismes, judaïsmes, islams), on rappellera que les doctrines fondées sur « la science » peuvent elles aussi « susciter dans les jeunes esprits […] un dogme nouveau, […] une doctrine immuable », ainsi qu’en témoigne le « socialisme scientifique » inauguré par Marx-Engels — et à la diffusion duquel Jaurès aura grandement contribué. Le marxisme communiste n’est-il pas allé jusqu’à opposer — en biologie notamment avec le lyssenkisme — une « science prolétarienne » à la « science bourgeoise » et à faire de Moscou le gardien infaillible de la soi-disant « science prolétarienne » (Jaurès Jean, « L’Église et la Laïcité », discours à la Chambre des Députés, séance du jeudi 3 mars 1904, Luxemburg, Rosa & Jaurès, Jean, Églises et socialisme, Spartacus, 2006, p. 49-52 passim) ? Sur le « lyssenkisme » caché de la pensée marxienne, voir Airut, J.-P., « Le matérialisme historique de Marx-Engels : mythe ou réalité ? », art. cit.
Sur les antinomies juridico-économiques du marxisme, voir encore du même auteur : « “Exploitation capitaliste” et crime innommable : paradoxes de la morale et du droit marxiens », Essais de philosophie pénale et de criminologie, Paris, L’Archer, n°1, 1999 ; « Exploitation et droit naturel chez Karl Marx : le patronat responsable mais pas coupable ? », Revue internationale de Philosophie pénale et de Criminologie de l’Acte, n° 9-10, 1996, p. 113-132 ; « Is Karl Marx’s Theory of Exploitation based on Natural Law ? », in R. KEVELSON, Law and the Conflict of Ideologies, New York, Peter Lang, 1996, p. 11-24.
[92]. Librement et par amour du Christ, ce qui revient à dire de manière désintéressée — et non pas pour briller auprès de Dieu, de ses congénères ou de lui-même.
[93]. « Ensuite l’homme et la femme sont à la fois libres et limités : ils transgressent la loi de Dieu. Responsables de cette transgression, ils restent libres et ne sont pas l’objet d’un quelconque déterminisme qui, lui, conduirait fatalement au mal. En revanche, leur liberté est difficile à vivre », « La faute d’Adam », Théo, Nouvelle encyclopédie catholique, Paris, Droguet & Ardant/Fayard, 1989, p. 712.
[94]. La matrice laïque à l’œuvre dans le Nouveau Testament a probablement nourri le gallicanisme dans lequel certains historiens voient une des sources de la laïcité républicaine : « On ne saurait non plus oublier, si l’on veut comprendre les origines de la laïcité à la française, l’importance considérable de la Déclaration du clergé de France de 1689, et du gallicanisme qui en découle. Pape et Église n’ont selon ce texte “reçu de puissance que sur les choses temporelles et civiles”. “Les rois et les souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastiques par l’ordre de Dieu dans les choses temporelle”. Faut-il rappeler, suivant Émile Poulat, que cette Déclaration reçut force de loi sous Louis XIV, devint loi générale de l’Empire le 25 février 1810, fut confirmée par Louis XVIII, puis par la République jusqu’en 1905, ce qui permet à cet auteur d’y voir une “séparation” radicale des pouvoirs, des domaines, des compétences à celle qui s’institue alors entre philosophie et théologique, bientôt science et foi, en attendant celle de l’État et de l’Église qui est au bout de sa logique », Morange, Jean, art. cit., p. 126.
[95]. « Dans la doctrine de l’Église, la fonction de la société politique ou l’État est d’aider les personnes humaines qui en sont les citoyens à réaliser leur destinée, chacune poursuivant son bien particulier (profession, vocation, etc.) », « Le Bien commun », Théo, Nouvelle encyclopédie catholique, op. cit., p. 853.
[96]. « Ils disaient [Lamenais et Lacordaire] à la papauté : “Dégage-toi des gouvernants nationaux qui sont pour toi une entrave et qui sont en même temps pour les peuples une chaîne. Brise tes propres chaînes pour pouvoir travailler à briser les chaînes des peuples et réconcilier la démocratie grandissante avec l’Église qui meurt de ce malentendu et de cet abandon” », Jaurès, Jean, Laïcité et République socialiste, 1905-2005 : Centenaire de la loi sur la séparation des Églises et de l’État, op. cit., p. 193-194.
[97]. « Les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme », Préambule. « M. Target propose de supprimer les dix premiers articles et d’y substituer ceux-ci. “Art. 1er. Chaque homme tient de la nature le droit d’user de ses facultés, sous l’obligation de ne pas nuire à l’exercice des facultés d’autrui […]” », Séance du 20 août 1789, Réimpression de l’Ancien Moniteur, t. I, p. 366.
[98]. Contrairement à ce que laisse entendre de nombreux auteurs, tel Jean-Michel Baylet, « Document sur la laïcité dans la République remis à la commission Stasi », dans Lalmy, Pascal-Éric (pour L’association Laïcité et République, 1905-2005), La Laïcité face aux défis du XXIe siècle, Paris, Mare & Martin, 2006, p. 32 : « L’acte fondateur [de la laïcité] est la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen votée par l’Assemblée constituante le 26 août 1789. Elle instaure la liberté d’opinion et d’expression et l’égalité de tous devant la loi ». Au risque de paraître se contredire, deux auteurs déjà cités pour le refus de reconnaître une signification religieuse à la référence à l’Être suprême dans le Préambule de la Déclaration de 1789 admettent tout à faire le rôle de la doctrine évangélique dans la formation du terreau laïque : « […] l’œuvre ne pouvait sans doute émaner que d’un milieu façonné par des siècles de christianisme, sur deux points essentiels notamment. La notion même de “droits de l’homme” suppose une civilisation dans laquelle la dignité de la personne humaine fit figure d’évidence. Quelques philosophiques du monde antique l’avaient pressentie. Mais le christianisme, héritier sur ce point de la tradition juive enrichie et renouvelée, lui a donné les fondements qui l’ont très progressivement imposée […] Le christianisme […] est venu donner une base à la limitation du pouvoir. Dans la conception antique, l’homme, partie de la Cité, trouve en elle sa raison d’être et ne peut lui opposer les exigences de sa conscience personnelle : le pouvoir est fondamentalement totalitaire. […] Au contraire la formule évangélique “Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”, fonde la limitation des droits de la Cité. César, c’est-à-dire le pouvoir, excède sa compétence s’il porte atteinte à “ce qui est à Dieu” », Rivero, Jean & Moutouh, Hughes, op. cit., t. 1, p. 40 et 41. Non moins explicitement son action en faisant explicitement remonter la laïcité à la Révolution et dans le meilleur des cas aux Lumières et en oubliant que les Lumières furent aussi religieuses qu’a-religieuses ou qu’irréligieuses, ainsi que le préambule de la Déclaration en témoigne justement… Sur l’inhérence des valeurs chrétiennes aux Lumières matérialistes, voir Airut, Jean-Pierre, « Utilitarisme », Blay, Michel (dir.), Grand dictionnaire de la Philosophie, Paris, Larousse-CNRS Éditions, 2003, p. 1051-1057 ; « Crise de la peine : utilitarisme et évangélisme : paradoxes et refus de la “fonction rétributive” », Robert, Jacques-Henri & Tzitzis, Stamatios. La Présomption d’innocence, Essais de philosophie pénale et de criminologie, Paris, Eska, 2004, p. 205-238 ; « Le matérialisme de Marx-Engels : mythe ou réalité ? », art. cit.
[99]. Bauer, A., art. cit.